Leïla Shahid : « Un signe positif de la part de l’Union européenne »
Le document européen publié le 19 juillet a provoqué la colère du gouvernement israélien. Ambassadrice auprès de l’UE, la Belgique et le Luxembourg, Leïla Shahid mesure la portée de ce texte.
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Le 19 juillet, l’Union européenne a publié un document stipulant que les « entités israéliennes » situées dans les territoires occupés depuis 1967 ne doivent plus être éligibles aux subventions ou financements de l’Union européenne à compter de 2014. L’analyse de Leïla Shahid.
Quel est le sens de ces « lignes directrices » européennes ?
Leïla Shahid : Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une décision à proprement parler politique qui viendrait du Conseil européen ou de la ministre des Affaires européennes. Cela ne vient pas de Mme Ashton, c’est d’abord une décision à caractère juridique de mise en cohérence des législations européennes internes, et de respect du droit européen et du droit international. À partir du moment où l’Europe dit qu’Israël n’a aucun droit sur les territoires occupés de Cisjordanie, de Gaza, de Jérusalem-Est et du Golan syrien, il n’est pas possible pour l’Europe de financer des projets israéliens dans ces territoires.
Ce n’est pas une décision qui vient des instances politiques de l’Union européenne, mais elle a néanmoins une portée politique…
C’est un signe très positif qui constitue un précédent important. Jusqu’ici, Israël a toujours imposé à la Commission européenne et au Conseil européen le fait qu’il était au-dessus des lois internationales. Cette fois, Israël n’a pas les moyens de s’opposer, car c’est une recommandation qui ne s’adresse pas à lui mais aux États membres de l’Union. Cela concerne le financement européen de projets israéliens essentiellement dans le domaine de la recherche. C’est une recommandation que les États membres ne sont pas obligés de suivre, mais qu’il leur sera difficile de ne pas appliquer car ce serait violer ouvertement le droit européen. Un pays qui prendrait une décision contraire risquerait tout de même de se faire sérieusement chahuter. C’est donc un outil important à l’intérieur du fonctionnement des institutions européennes.
Ce n’est évidemment pas une mesure de boycott…
Non. L’Union européenne n’appliquera jamais une mesure de boycott qui serait contraire à sa doctrine de libéralisation du commerce. Le boycott, c’est le combat de la société civile. Toutefois, il existe une autre bataille qui peut aider au boycott, c’est l’exigence de labellisation des produits venant des colonies. Mais là, c’est l’exportateur qui décide de cette labellisation. Et on ne peut pas faire confiance à Israël pour cela.
Comment interprétez-vous l’annonce d’un retour à des négociations entre le gouvernement israélien et l’Autorité palestinienne, au lendemain de la visite du secrétaire d’État américain John Kerry ?
Je ne parlerai pas de négociations. Cela résulte surtout d’une volonté d’apaisement dans une situation régionale très déstabilisée.
Tout le monde insiste sur le fait que c’est une reprise « sans conditions ». On sait que, dans le discours officiel israélien, les « conditions », c’est l’exigence palestinienne de gel de la colonisation. Cela ne risque-t-il pas de signifier que le dialogue reprend alors que la colonisation se poursuit ?
Le gel de la colonisation ne peut pas être considéré comme une condition, car il était inscrit dans la « feuille de route [^2] », et on ne peut pas sans cesse revenir en arrière sur ce qui a déjà été signé. Mais, franchement, je ne crois pas que cela puisse aller très loin. Nous sommes en face du gouvernement le plus à droite de l’histoire d’Israël, qui pratique la colonisation comme jamais et qui tolère les appels au meurtre lancés par les colons sous la protection de l’armée. Cette reprise du dialogue est donc loin d’être une avancée réelle. La question est toujours la même : les Américains vont-ils assumer réellement leur rôle d’arbitre, ou laisseront-ils une fois de plus les deux parties face à face ? Auquel cas, avec le gouvernement israélien actuel, on ne peut pas espérer grand-chose.
[^2]: Document adopté le 30 avril 2003 par le Quartet, composé de l’ONU, l’Union européenne, les États-Unis et la Russie.