« Michael Kohlhass » d’Arnaud des Pallières : La belle idée destructrice

Michael Kohlhass montre un homme réclamant justice jusqu’à l’obsession.

Christophe Kantcheff  • 25 juillet 2013 abonné·es

Michael Kohlhass, tel qu’Heinrich von Kleist l’a imaginé dans son bref roman [^2], et tel qu’Arnaud des Pallières le projette sur l’écran, n’est pas un personnage ordinaire. De quel bois est fait ce héros ? Alors que, pour passer une barrière, il doit laisser en gage à un jeune baron deux magnifiques chevaux qu’il destinait à la vente, Kohlhass les retrouve au retour abîmés, blessés, et l’homme qui, parmi ses fidèles, devait les garder a été sauvagement agressé par des chiens. Le marchand de chevaux sollicite la justice pour réparation, mais est débouté en raison d’une collusion entre un juge et le jeune baron. La révolte gronde chez Kohlhass, dont le premier mouvement est d’orgueil : il songe à partir, à abandonner ce territoire qui n’est pas à la hauteur de ses idéaux. Mais tout bascule quand sa femme (Delphine Chuillot), qui a tenté de plaider sa cause auprès de Marguerite d’Angoulême, sœur du roi, est blessée à mort dans le palais de celle-ci. Kohlhass, levant des troupes de mercenaires, se lance dès lors dans une impitoyable rébellion armée.

Roturier, Michael Kohlhass a le physique d’un chevalier. Il en impose. Présence magnétique, mutique, concentrée. Sa femme lui a confié que, la première fois où elle l’a vu, elle n’a eu de cesse de le toucher. Mads Mikkelsen prête à celui-ci sa plastique impeccable. L’acteur danois du Guerrier silencieux, de Nicolas Winding Refn, donne à son personnage une sévérité toute nordique. Il le hausse vers des sommets où l’oxygène se raréfie. Son accent, parfois à la limite du compréhensible, ajoute à son étrangeté, à son opacité. Comme Michael Kohlhass le dit lui-même : « J’ai des principes. » Mais ceux-là tournent à l’obsession : obtenir que le jeune baron lui rende ses chevaux soignés et rutilants comme avant. Rien n’a de valeur plus haute que cette soif de justice, y compris la vie de ceux qu’il a engagés à ses côtés, dont de simples paysans qui risquent les pires supplices s’ils sont capturés, ou sa propre existence. Kohlhass s’impose et leur impose des règles qui ne souffrent pas d’exception. Pas de pillage, pas de vol – pour ce marchand, le droit de propriété est sacré. Il n’hésite pas à punir un fautif, dans sa propre troupe, de la peine de mort. Même sa jeune fille (Mélusine Mayance) finit par ne plus comprendre son père, qui semble courir volontairement à sa perte. Michael Kohlhass est un intraitable qui ignore autant la corruption que le compromis. Rien ni personne ne peut le circonvenir. Seul un pasteur de passage (Denis Lavant), traducteur de la   Bible, dont Kohlhass est un lecteur – bien que non nommé, il s’agit de Luther – a des mots qui pénètrent le marchand. Dans la seule séquence du film où la parole est reine, le pasteur l’interpelle sur son sens de la justice, et l’enjoint à la modestie.

Mais Michael Kohlhass n’est désormais plus qu’une idée. Est-il un fanatique ou un prérévolutionnaire ? Le film ne tranche pas, bien que la question, évidemment politique, et aux accents contemporains, ne cesse de le traverser. L’une de ses plus éclatantes manifestations vient de la tension qui s’établit entre cette abstraction faite homme et la beauté tellurique de l’image, la perception physique que le cinéaste transmet du vent, de la course des nuages et de la magnificence des paysages. Michael Kohlhass est un film de rigueur et de splendeur.

[^2]: Michael Kohlhass vient d’être réédité en poche chez Mille et Une Nuits, 207 p., 4,50 euros.

Cinéma
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