EELV, mince bilan

La question de la « ligne rouge » franchie ou non par le gouvernement a été écartée à Marseille, mais elle devrait diviser lors du congrès de novembre.

Politis  • 28 août 2013 abonné·es

Deux heures : c’est la durée consacrée au premier bilan de la participation au gouvernement d’Europe Écologie-Les Verts, présenté la semaine dernière lors des journées d’été du mouvement tenues à Marseille (22-24 août). Une militante s’étonne de cette portion congrue : « Cela ne saurait être qu’un début ! » Personne ne renchérit dans l’assistance. Pourtant, l’an I du quinquennat de François Hollande aura cumulé les déconvenues pour les écologistes. La plus grande satisfaction du député François de Rugy et du sénateur Jean-Vincent Placé ? « Le mariage pour tous ». Conquête quasi unique face aux nombreuses frustrations et à « un manque de choix clairs », commente François de Rugy. « Une année largement gâchée par l’adoption du traité européen instaurant l’austérité, martèle pour sa part le sénateur Jean-Vincent Placé. Nous ne nous sommes pas donné les moyens de la révolution écologique dont le pays a besoin ! » Le 2 juillet, la tension atteignait son comble avec l’éviction de la ministre de l’Écologie, Delphine Batho. La démission des ministres Duflot et Canfin n’a jamais été aussi proche, le député européen Yves Cochet jugeant même alors qu’il faut franchir le pas.

Mais depuis, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a multiplié les gestes à l’endroit d’EELV : nomination de Philippe Martin, cadre socialiste respecté, au ministère de l’Écologie, habillage vert des « investissements d’avenir », assurance de mesures de fiscalité écologiques dans la loi de finances 2014… Et dès l’ouverture des journées d’été, sur le campus de l’université Saint-Charles, l’invité Philippe Martin livre deux annonces cousues main : le rétablissement, contre l’avis de Bercy, de la dotation de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie à son niveau de 2013 et, surtout, la future création d’une « contribution climat énergie [^2] ». Moins de deux mois après la crise de début juillet, voilà les critiques de Delphine Batho sur le « mauvais » projet de budget 2014 devenues caduques, et l’opportunité de sortir du gouvernement anachronique. Yves Cochet lui-même ne s’y accroche plus. Ce « frémissement », cette « écoute nouvelle » de l’exécutif, aura de fait instauré un moratoire sur les conclusions à tirer du maigre bilan pour l’écologie d’une année de partenariat gouvernemental. Mais pas pour longtemps, à en croire les mises en garde des cadres écolos –  « il faut un changement de cap et des actes, l’heure n’est plus à la parole ». Rendez-vous dès le 20 septembre pour la conférence environnementale, dont les belles intentions de la première édition, il y a un an, sont pour l’essentiel restées en rade. Avec la loi de finances 2014, ainsi que le texte de loi faisant suite au débat national sur la transition énergétique, achevé en juillet dernier, « les quatre mois qui viennent seront décisifs », estime Jean-Vincent Placé. Quel recul gouvernemental pourrait-il conduire à la rupture ? Pascal Durand, secrétaire national, se refuse à parler de « ligne rouge » à ne pas franchir [^3]. Les principaux dirigeants d’EELV professent depuis des mois que, « sans la présence des écologistes au gouvernement, les choses seraient pires » – exploration du gaz de schiste, démarrage des travaux de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, etc.

Les socialistes, qui auront besoin l’an prochain de l’appui des écologistes pour un scrutin municipal à haut risque, ont-ils habilement amadoué ces derniers ? La direction du parti préfère théoriser sur une « méthode EELV » de persuasion douce, où les menaces de rupture sont remplacées par les mouvements d’humeur de parlementaires écologistes (refus de voter certains textes gouvernementaux) ou des critiques modérées distillées par les deux ministres écologistes. Ces derniers peuvent même se targuer de copiner utilement avec certains collègues socialistes, tels Philippe Martin et Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, avec qui ils ont signé une tribune engagée sur la transition écologique [^4]. Idem pour mettre en garde contre les excès de l’austérité, au printemps dernier, avec Benoît Hamon, Arnaud Montebourg et Christiane Taubira. La ministre de la Justice s’est fendue d’une visite inattendue à Marseille, confortée dans son opposition à la politique de Manuel Valls par « la belle convergence » exprimée par les critiques de Cécile Duflot [^5] et de Pascal Canfin [^6] en réponse aux attaques du ministre de l’Intérieur contre le regroupement familial ou la politique pénale (voir p. 13).

L’humeur détendue affichée en tribune à Marseille dissimule cependant des dissensions. EELV est dans une année de congrès, et les militants voteront à partir du 16 novembre pour élire l’équipe exécutive qui les mènera pendant trois années, notamment pour les élections municipales (printemps 2014), européennes (mai 2014) et régionales (2015) ainsi que pour la préparation de la présidentielle et des législatives de 2017. Alors que le bilan gouvernemental se dessinait en trompe-l’œil, le véritable enjeu de ces journées aura finalement été, hors programme d’une centaine de plénières, forums et ateliers, les tractations actives entre les porteurs de contributions. Dans l’état actuel du rapport de forces, l’actuelle majorité pourrait être reconduite, avec Pascal Durand pour secrétaire national. Elle devra cependant tenir compte de l’émergence d’un pôle assez critique vis-à-vis de l’exécutif socialiste (contribution « Boussole », soutenue par des proches de Jean-Vincent Placé). Et une opposition nettement plus sévère a fait un premier pas, à Marseille, dans la constitution d’un front entre la gauche du parti (« Indépendance cha cha », autour de Karima Delli et Alain Lipietz) et les écologistes radicaux (les amis d’Yves Cochet entre autres). Cependant, bien que ses porteurs n’envisagent pas de mettre en débat l’opportunité de sortir du gouvernement – décrite comme une posture faute d’un plan de rechange et d’un soutien suffisant chez les militants –, « il est désormais indispensable de définir clairement des lignes rouges à ne pas dépasser, insiste l’eurodéputée Karima Delli. Que sont devenus l’accord électoral PS-EELV de novembre 2011 et les promesses du candidat Hollande ? Ils semblent s’être évaporés… » Cette opposition fustige également un manque de démocratie interne et la mainmise de l’actuelle majorité sur les décisions importantes.

[^2]: Dite « taxe carbone », outil fiscal de premier ordre pour réduire les émissions de CO2.

[^3]: Les Échos, 22 août.

[^4]: JDD, 18 août.

[^5]: Libération, 20 août.

[^6]: www.lejdd.fr, 21 août.

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