Fukushima maintenu au secret

Depuis l’accident nucléaire survenu le 11 mars 2011, les autorités s’ingénient à dissimuler l’ampleur des dégâts. Récemment, pourtant, elles ont dû proclamer une situation d’urgence.

Claude-Marie Vadrot  • 29 août 2013 abonné·es

Le 7 août, le gouvernement japonais et l’entreprise Tepco, qui gèrent difficilement depuis plus de deux ans les suites de l’accident de Fukushima, ont proclamé une « situation d’urgence   ». Ils ont dû finalement admettre que de l’eau fortement radioactive s’écoulait vers la mer. Deux semaines plus tard, les mêmes ont décrété une «   alerte grave   », avouant une réalité dissimulée depuis longtemps : chaque jour, 300 000 litres d’eau contaminée polluent le Pacifique. Et sans que l’origine en soit clairement identifiée tant les réservoirs de contention hâtivement installés sont nombreux. Dans la foulée, les officiels ont admis que les nappes souterraines seraient aussi « un peu » contaminées. Chaque fois que les autorités et la Tepco s’embrouillent dans le manque de transparence et les mensonges, elles sont contraintes de dévoiler un peu plus l’étendue de la catastrophe en cours. Qu’il s’agisse des rejets dans l’eau et dans l’air, de la situation des agriculteurs, des écoles polluées, des habitants toujours réfugiés à des dizaines – voire des centaines – de kilomètres dans des bâtiments provisoires ou des pêcheurs qui ne peuvent pas vendre leurs poissons pour cause de radioactivité supérieure aux taux autorisés.

Un journaliste japonais qui enquête depuis les premiers jours sur les conséquences de l’accident explique : «   Mes compatriotes n’ont jamais pu mesurer l’étendue des dégâts, et les rares visites organisées pour la presse sont tellement encadrées qu’il est impossible aux journalistes de comprendre dans quel état se trouvent les réacteurs et les bâtiments délabrés qui les abritent. Ils n’ont même pas le droit de se munir d’instruments de mesures précis, notamment ceux enregistrant le cumul de tous les éléments radioactifs polluant le site. En fait, sauf quand le mensonge est trop gros ou qu’un ingénieur finit par passer quelques informations à la presse, nous ne savons rien de précis de la situation sur un site qui est plus gravement pollué et détruit que ne l’était celui de Tchernobyl.   » Si, à l’époque de l’accident ukrainien, le gouvernement soviétique n’avait pu conserver que quelques jours le secret sur la gravité de la situation, les autorités japonaises ont de leur côté pratiqué l’omertà avec efficacité. Réussissant même à écarter les spécialistes étrangers de l’essentiel de l’information, comme si un accident nucléaire était un banal fait divers industriel. Et tout, au Japon comme en Ukraine, ramène à une réalité difficilement escamotable : impossible de limiter dans le temps et sur un territoire les conséquences d’une catastrophe survenant dans une centrale. Les ingénieurs de la Tepco, soutenus par le lobby nucléaire et le gouvernement nippon, amusent donc périodiquement la presse nationale et internationale avec des opérations de communication destinées à entretenir l’illusion qu’il leur est possible de faire face. Ainsi, le gigantesque projet consistant à racler la couche de terre des zones contaminées est au point mort. Pour au moins deux raisons : d’abord la difficulté de l’opération, ensuite l’impossibilité de trouver un endroit pour entreposer des dizaines de millions de tonnes de terre polluée.

Une autre initiative consistait à équiper des singes et des sangliers de dosimètres couplés à des GPS afin de répertorier et de localiser à moindre risque les espaces contaminés. Le projet a tourné court. Et les fameux robots qui devaient explorer les réacteurs explosés n’ont pas résisté (comme à Tchernobyl). Ils sont restés bloqués par l’intensité de la radioactivité dans l’enceinte de deux réacteurs. Des réacteurs dont les officiels avaient pourtant annoncé que la température et l’activité nucléaire étaient revenues « à la normale ». Conséquence : nul ne sait ce qui s’y passe et dans quel état ils se trouvent puisque personne ne peut s’y rendre sans risque mortel. Quant aux conséquences sanitaires pour les ouvriers, techniciens et ingénieurs qui se relaient au déblaiement et au refroidissement, le black-out et les discours sont les mêmes que pour la population ou les évacués qui reviennent clandestinement sur la zone. Sans oublier les 360 000 enfants menacés de cancer qui restent (théoriquement) sous surveillance médicale mais que le gouvernement évoque de moins en moins souvent. Officiellement, la catastrophe nucléaire n’a entraîné ni maladie ni décès.

Écologie
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