Syrie : pourquoi l’arme chimique ?
Après la bataille de Qussayr, remportée par le régime grâce à l’aide du Hezbollah libanais, le crescendo dans la violence révèle davantage la faiblesse du pouvoir que sa supériorité militaire face à une rébellion qui ne désarme pas.
dans l’hebdo N° 1266 Acheter ce numéro
L’attaque chimique, le 21 août, sur les localités de la Ghouta orientale, dans la banlieue est de Damas, a sans aucun doute été un tournant dans l’interminable guerre civile syrienne. Elle aurait fait plus d’un millier de morts – 1 360, selon les comités locaux de coordination. Le doute sur la réalité des faits et sur leur origine n’étant plus guère permis, une question, entre autres, se pose près d’une semaine après le massacre : pourquoi ? Le régime a-t-il eu recours à ces armes dans le cadre d’une stratégie offensive, ou est-ce au contraire la manifestation d’un pouvoir en grande difficulté ? Plusieurs événements permettent d’évaluer le rapport de force sur le terrain. En juin, la reconquête de Qussayr par les troupes de Bachar avait donné lieu à des conclusions sans doute hâtives. C’est un fait que la perte de cette ville, située à 35 kilomètres au sud de Homs, a constitué une défaite stratégique majeure pour la guérilla. Mais celle-ci a, peu après, conquis des positions importantes non loin de Qardaha, lieu hautement symbolique puisqu’il s’agit du village de la famille Assad, au cœur même de l’enclave de Lattaquié, considéré comme une base de repli pour le clan. Par ailleurs, le politologue Jean-Pierre Filiu, qui était en Syrie il y a un mois, affirme avoir vu des roquettes lancées par les rebelles tomber à quelques centaines de mètres du palais présidentiel à Damas. Et Bachar al-Assad aurait lui-même échappé à un attentat voici quelques semaines. Preuves que l’insurrection est capable de toucher au cœur du pouvoir. Jean-Pierre Filiu estime que « le régime est beaucoup plus faible qu’il y paraît ».
La reprise de Qussayr a délivré à cet égard un double message. Si cette bataille a été perdue par la rébellion, elle a aussi paradoxalement mis en évidence la faiblesse de l’armée, qui a dû appeler à l’aide le Hezbollah. Sans le renfort décisif du puissant mouvement chiite libanais, ce succès militaire eût été impossible. Selon la plupart des experts, les troupes de Damas ne doivent leur supériorité, outre le renfort du Hezbollah, qu’à leur aviation et aux tirs de missiles balistiques, de plus en plus fréquents depuis le printemps dernier. Il est donc probable que le recours massif à l’arme chimique soit le signe d’un régime en grande difficulté. Une situation qui résulte de la supériorité numérique de la rébellion, de son implantation et d’une détermination intacte malgré les divisions internes. La réalité du terrain est résumée d’une phrase par Emile Hokayem, de l’Institut international d’études stratégiques : « Personne ne peut gagner. » Le chercheur ajoute que Bachar al-Assad « peut survivre à moyen terme et espérer que ses ennemis s’affaiblissent pour ne jamais être capables de remporter la guerre ». Plusieurs spécialistes imaginent que cet équilibre des forces pourrait aboutir à une partition du pays. Pour Emile Hokayem, « si un démembrement formel de la Syrie reste peu probable, une partition douce [il vaudrait mieux dire “progressive”, NDLR] de facto du pays en plusieurs petites entités prend forme ». C’est aussi l’avis d’un think tank influent aux États-Unis, le Center for Strategic and International Studies, dont l’un des chercheurs, Anthony Cordesman, prédit, et plus encore en cas de chute du régime, une « fragmentation en blocs alaouites, sunnites et kurdes qui seront encore plus violents et durables que les divisions ethniques en Irak ».