À Décines, les opposants au stade accueillent des Roms et soulèvent l’hystérie des riverains
Les opposants au Grand Stade de Lyon ont accueilli trois familles roms sur le terrain qu’ils occupent depuis un an et demi, déclenchant la colère des riverains. Ils ont été expulsés ce mardi.
Sur les hauteurs de la butte de Biézin, à Décines (Rhône), la vue est imprenable sur Lyon et son agglomération. Au pied de ce bout de terre, on peut déjà deviner les contours du futur Grand Stade de l’Olympique lyonnais. Le projet a passé une partie des obstacles juridiques et financiers et son terrassement a commencé. Il est aujourd’hui bloqué par un nouveau recours.
Depuis un an et demi, une poignée de militants y construisent un campement contestataire, dans la droite lignée de l’occupation montée à Notre-Dames-des-Landes sur la « zone à défendre » (ZAD). Ici, la ZAD est bâtie sur quelques hectares de terres appartenant à l’agglomération du Grand-Lyon et à un agriculteur en cours d’expropriation. Il a abandonné ses terres. On y croise quelques militants locaux et des « zadistes » inconditionnels, qui sillonnent la France entre les places de résistance. « Notre-Dame » est sur toutes les lèvres.
Comme dans la dizaine de ZAD comptabilisées en France, la vie s’organise en autogestion. Un squat politique à ciel ouvert, où la nourriture est glanée dans les poubelles des supermarchés ou recueillie grâce aux dons des locaux. Mais, depuis jeudi, ce petit îlot de résistance jusqu’alors très discret s’est brusquement électrifié.
Trois familles de Roms, expulsées dix jours plus tôt d’un immense campement à Vaulx-en-Velin, ont été accueillies au pied de cette mini ZAD, où ils avaient des connaissances. Depuis, la vie s’organise entre les militants et la trentaine de Roms. En face, les riverains ont réagi avec une violence qu’ils n’avaient jamais montrée à l’égard des « zadistes ». Sur les murs de la ville, une affiche A4 a fleuri, appelant à un rassemblement quotidien au pied de la butte, contre le « camp de Roms gigantesque [qui] est en cours de construction » et « les hippies [qui leur] offre gîte et couvert ».
Ce lundi soir, peu après 19 h 30, une centaine de riverains ont convergé devant le petit chemin de terre qui mène au campement. Un face-à-face glacial s’installe entre les deux camps, florilège de messes basses d’une rare violence: « Il faut les voir, ce sont des gens très sales, bougonne une retraitée dont la maison donne sur la route qu’empruntent les « zadistes ». « C’est de la vermine », renchérit un voisin, jetant un regard ulcéré sur un militant venu se baigner dans la foule hostile.
«Je ne suis pas raciste, mais…»
« Au fond les hippies ne sont pas bien méchants. Les Roms, ce n’est pas la même chose » , reprend la retraitée. « Moi, si j’en retrouve un chez moi autant vous dire que je n’appellerai pas la police , surenchérit une blonde décolorée d’une cinquantaine d’années. Il ira directement dans le trou, je vous le dis. »
Le ton monte, sous le regard d’une équipe de police nationale, alors que les militants s’avancent pour engager la conversation.
Roms et «zadistes» partagent le quotidien
Sur le terrain ombragé où s’est installée la trentaine de Roms, à l’entrée de la ZAD, on est loin d’un campement « gigantesque ». Une dizaine d’enfants jouent dans la poussière. Une mère, tout sourire, pliée en deux sur une gamelle fumante, propose à qui veut une portion de sa bouillie aux légumes pendant que les hommes s’affairent à la construction de cabanes.
Les «zadistes» ont reçu le matin même une visite d’huissier, venu leur notifier l’obligation de quitter les lieux sous 48 heures. Alors ils étoffent leurs barricades, programment les tours de garde dès 5 heures du matin… Dans la petite « AG » que forment en fin d’après-midi une quinzaine de militants, deux pères de famille roms tentent de suivre les discussions. L’un d’eux aimerait faire venir sa fille avec sa famille, mais la question doit être débattue collectivement.
Le maire socialiste, lui, craint le pire sur sa commune. Un brin tendu lundi après midi, derrière son bureau vide, Jérôme Sturla nous livre un discours polissé, mais ferme envers les « zadistes » et leurs hôtes. « Nous refusons toute occupation. Ces terrains ne sont pas viables pour accueillir qui que ce soit, et avec l’arrivée des Roms, nous craignons que se greffent des phénomènes collatéraux, comme la mendicité ou l’occupation de l’espace public. »
Le dernier paysan, « trop seul » pour peser
Les tensions restent verbales, mais depuis leur main tendue aux Roms, la vingtaine de « zadistes » se retrouvent seuls contre tous. « Si la police expulse tout le monde, c’est le combat contre le stade qui sera pénalisé», présageait lundi soir Franck Buronfosse, de l’association Carton rouge, qui poursuit la bagarre juridique contre le stade. Comme depuis plusieurs jours, le militant décinois avait pris place dans le rassemblement anti-Roms, où les discussions glissent rapidement sur le Grand Stade qui doit s’élever en 2015 à quelques centaines de mètres seulement des résidences décinoises.
Pis, entre les « zadistes » et les Décinois, le divorce est désormais consommé. « Ici on n’est pas à “Notre-Dame“ » , soupire un zadiste. L’alliance du monde paysan, des riverains et des militants autonomes n’a pas prise.
C’est pourtant sur une demande d’un des derniers paysans en cours d’expropriation que les « zadistes » ont investi la butte en avril 2012. Deux semaines après les avoir accueillis sur ses terres, ce berger « seul contre tous depuis 4 ans », forçait les militants à partir un peu plus loin sur la butte. « Je les ai menacés de brûler leurs tentes, se souvient ce quinquagénaire émacié, à la parole brutale. Philippe Layat doit céder 9 de ses 25 hectares pour 1 euro du mètre carré et un tronçon routier doit couper ses terres en deux. Il jure allègrement contre les notables locaux et la justice qui a débouté tous ses recours. Et il méprise presque autant les militants, venus parfois de loin pour participer à une lutte dont ils ne maîtrisent pas toujours le fond du dossier. « Ce sont des squatteurs ! Ils sont feignants comme des couleuvres. Ils sont allés chercher des Roms pour s’en servir comme bouclier humain ! »
« Moi je suis trop seul » , explique-t-il enfin « je ne peux pas faire le poids » pour faire durer l’alliance avec ces militants.
La centaine de riverains ulcérés l’aura finalement emporté. Mardi à 11 h, des dizaines de policiers et un tractopelle ont délogé le campement sans affrontements. Les Roms l’avaient quitté dès la venue des forces de l’ordre.
Reportage dans le campement, quelques heures avant leur expulsion
- Ajout le 4 septembre à 22 h : interview vidéo de Franck Buronfosse, président de l’association Carton rouge.
Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.
Faire Un Don