Après la bavure, l’impossible quête de vérité pour les proches de Wissam El Yamni
Comme toujours dans les affaires de violence policière, le combat des proches de Wissam El Yanni, décédé il y a un an et demi, est long et difficile.
[4e étape de notre tour de France des quartiers]
Marwa et Farid remuent ciel et terre. Recours judiciaires, contre-expertises, entrevues officielles, conférences de presse… Rien n’est superflu dans leur combat pour la vérité, un an et demi après le décès de leur frère suite à une interpellation.
Comme souvent dans ce type d’affaires, l’enquête est un nouveau calvaire pour la famille tant la justice et lente et l’enquête tronquée.
« C’est allé tellement vite… Mais ils l’ont bien tapé»
Les faits se sont déroulés aux pieds des barres de La Gouthière, un quartier du nord de Clermont-Ferrand, en pleine nuit de la Saint-Silvestre, le premier janvier 2012. Peu après 3h du matin, plusieurs véhicules de police, au moins 9 selon l’enquête, pénètrent dans le quartier.
Marouane, un ami d’enfance du défunt raconte : « Nous étions 5 ou 6 à passer la soirée sur le parking, on n’avait pas prévu de sortir, on s’est juste acheté une bouteille et puis c’est tout » .
Au passage des forces de l’ordre, Wissam leur jette une pierre. Une course poursuite s’engage et tourne court. Le chauffeur poids lourd de trente ans est aussitôt interpellé.
Les circonstances de l’arrestation sont troubles. Depuis sa fenêtre, à quelques dizaines de mètres de là, une riveraine voit une voiture de police s’engager sur un parking. « Wissam est sorti de la voiture et a fait quelques mètres en courant pour tenter de s’enfuir, il n’était pas menotté. Mais il a été aussitôt rattrapé », raconte Laure, qui assiste à la scène alors qu’elle fume une cigarette à sa fenêtre.
« Là j’ai vu les deux policiers frapper assez violemment Wissam. C’est allé tellement vite… Mais ils l’ont quand même bien tapé. Je l’ai vu se recroqueviller. » Selon elle, les deux policiers saisissent alors Wissam et le font rentrer dans le véhicule. « Il était mal en point » , raconte la mère de famille qui réside sur le quartier depuis 15 ans.
La voiture quitte le petit parking et s’arrête au pied d’une tour, aujourd’hui détruite. « Je n’ai plus vu ce qui s’est passé, mais je sais que j’ai entendu des aboiements de chien » , raconte Laure, entendue 3 fois par l’IGPN depuis les faits.
C’est quelques minutes plus tard que Marouane et ses amis arrivent au pied de la tour. « Des voitures avaient tourné en notre direction, mais elles ne nous ont pas contrôlés. Nous sommes donc allés voir ce qui se passait et nous avons trouvé des voitures de police, dont une avec l’autoradio branché à fond sur de la musique funk. Ils étaient très tranquilles. Un policier fumait une cigarette » , raconte Marouane.
Les deux policiers de la brigade canine évoquent une interpellation musclée, mais relativement brève. Un autre témoin racontait pourtant à Médiapart, le 7 janvier 2012, avoir assisté une scène de lynchage collectif. « Les policiers sont descendus, ils ont mis de la musique à fond, de la funk, et ont démuselé les deux chiens. Ils étaient chauds, ils ont fait un décompte : “Trois-deux-un, go” et ils lui ont mis des coups », raconte le jeune homme selon le site.
« La société ne nous a pas maltraités »
Après avoir parlé d’un « règlement de comptes » dans les premières heures, la thèse d’une violence policière se diffuse, alors que Wissam est encore dans le coma. Les quartiers nord de Clermont-Ferrand s’embrasent et il faudra un dispositif anti-émeute musclé pour étouffer la colère après plusieurs nuits.
Dans les mois qui suivent le drame, le pré-rapport d’autopsie et l’IGPN concluent à une possible mort par compression de la carotide des suites du « pliage », qu’un policier déclare avoir pratiqué pour immobiliser Wissam lors de son transport vers le commissariat. Mais les proches de Wissam n’en croient pas un mot. Trois mois après les faits, ils demandent une contre-expertise et s’engagent sur le volet « scientifique » de l’affaire. Photos à l’appui, ils veulent démontrer que Wissam présente d’importantes marques de coups et des lésions au niveau du cou, témoignant selon eux d’une strangulation.
« Nous avons pris des photos dès le 3e jour, car le personnel de l’hôpital nous avait dit qu’il y avait quelque chose d’anormal », raconte Marwa, la sœur cadette de Wissam.
Et la liste est longue. « Il n’y a pas eu d’analyse de la voiture avant qu’elle soit réutilisée ; nous n’avons pas pu avoir accès à la vidéosurveillance du commissariat et à une partie des conversations radios entre les voitures de police ; certains GPS étaient en panne dans les véhicules de police… », énumère Marwa. « Nous avons demandé une série d’actes à la justice, ils nous ont tous été refusés », enrage aussi Farid.
Les deux policiers mis en cause n’ont pas été mis en examen, ni entendus par les 3 juges d’instruction successifs qui ont suivi l’affaire. « La juge se contente de juger sur les conclusions des experts et de la police des polices, il n’y a aucune enquête contradictoire », s’emporte Farid.
La deuxième explication ne convainc pas la famille
Dix mois après les faits, une version différente est établie, par une expertise complémentaire, qui sera abondée, en avril 2013, avec les conclusions de la contre-autopsie réalisée en juin 2012 à la demande des familles. Wissam El Yamni serait mort du « cocktail toxique » d’alcool et de cocaïne. Et les traces constatées au niveau du cou seraient des marques de frottements de vêtements.
La famille a déposé un dossier rejetant ces conclusions et s’apprête à présenter à la presse des éléments nouveaux, issue d’une contre-expertise financée sur ses deniers propres. « La justice est lente et fait tout pour qu’on se décourage. Mais nous sommes déterminés. Nous irons jusqu’en Cour européenne s’il le faut. » , assure Marwa.
Avec le soutien d’un collectif « Vérité et justice pour Wissam El Yamni », elle poursuit sa contre-enquête avec une détermination qui semble redoubler à mesure que le dossier s’enlise. Une énergie rare. Entre les honoraires des avocats à payer, le coût des contre-expertises et la lourdeur du face à face avec les institutions, beaucoup auraient abandonné.
« Nous ne sommes pas seuls dans ce cas. Mais c’est très difficile pour les familles de se battre » , raconte Marwa. Alors, les deux frères et sœurs promettent de maintenir leur pression sur un dossier sensible à Clermont-Ferrand et de faire de leur quête une affaire nationale, même s’ils veulent éviter d’en faire un combat politique.
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