Édition : Face aux piles, le choix des libraires
Président du Syndicat de la librairie française, Matthieu de Montchalin salue l’initiative des Éditions de la Différence, non sans formuler quelques réserves.
dans l’hebdo N° 1270 Acheter ce numéro
Cinquante ans. Installée dans le centre de Rouen, la librairie l’Armitière célèbre son demi-siècle. C’est bien assez pour mesurer l’évolution et le fonctionnement du secteur, ses difficultés et ses enjeux. À la tête de la librairie, Matthieu de Montchalin, depuis deux ans président du Syndicat de la librairie française (SLF). Une double fonction qui lui permet de juger la démarche des Éditions de la Différence dans la création d’un nouveau réseau de diffusion. Quoique invisible pour le lecteur, la diffusion est un maillon essentiel de la chaîne du livre, « dans la mesure où c’est le travail d’un représentant qui nous fait découvrir, à nous libraires, la production d’un éditeur. C’est d’autant plus important que nous connaissons aujourd’hui une production de 65 000 titres par an ». De fait, dans un marché exponentiel, même si la tendance est au tassement, « mieux on me parle des livres, explique Matthieu de Montchalin, plus je suis capable de comprendre s’ils sont adaptés à ma librairie et à mes lecteurs, pour mieux les défendre ». Dans le cadre des Éditions de la Différence, « il s’agit d’un catalogue exigeant, qui a besoin qu’on lui consacre du temps, que l’on entende le contenu de ses livres (comme pour tout éditeur exigeant, d’ailleurs), qui nécessite une équipe de diffusion connaissant bien ses livres. Cela requiert une homogénéité, une cohérence dans le catalogue. On ne peut pas imaginer la Bibliothèque rose et la Pléiade dans la même équipe, même si l’on a besoin d’acheter les deux en tant que libraires. Si l’équipe de diffusion est très bonne, elle nous rend service, nous permet de faire le tri ».
Reste néanmoins ce chiffre de 65 000 titres par an, qu’une librairie doit négocier. Un chiffre « correspondant aussi à une inflation des équipes de diffusion, poursuit Matthieu de Montchalin. Car nombre d’éditeurs ont créé eux-mêmes leur propre réseau de diffusion, en visant du sur-mesure. C’est le cas notamment pour Actes Sud ou l’École des loisirs. Avec la création d’un nouveau réseau, mécaniquement, cela nous fait une personne de plus à recevoir. À l’Armitière, nous voyons déjà 80 représentants, la plupart une fois par mois, un peu moins pour les ouvrages universitaires. Si beaucoup de choses se jouent dans la rencontre entre le représentant et le libraire, celui-ci ne peut accueillir tous les livres comme son coup de cœur. Son travail est de vendre des livres, pas seulement de les acheter ». C’est là, en partie, que se joue la question du taux de retour des livres. Dans ce cadre, l’Armitière est un cas à part, avec un taux de 13 %, contre trois fois plus en moyenne pour les librairies (sachant que plus l’établissement est grand, plus le taux est faible). Un chiffre qui demeure souvent opaque chez les éditeurs, puisqu’il signifie l’échec. « Aujourd’hui, observe Matthieu de Montchalin, toute la chaîne du livre cherche à faire des économies. Le taux de retour en fait partie. Tout le monde a intérêt à ce qu’il baisse, parce que cet argent qui est investi dans la production de livres, dans le transport aller et retour, dans la main-d’œuvre et jusqu’au pilon, en bout de course, c’est de l’argent qui part en fumée. » Dans un secteur où l’on sait rarement à l’avance ce qui va « marcher », à quelques titres près. La librairie reste un jeu incertain, dans lequel on voit certains titres dépasser les 40 ou 50 % de retours.
Autre élément clé, le taux de remise au libraire, celui qui permet à une maison d’être en centre-ville, d’avoir des salariés compétents. Fluctuant de 25 à 40 % à l’Armitière, de 30 à 33 % pour les petites structures, jusqu’à 40 % pour les très grosses. Dans cet esprit, les 42 % proposés par La Différence « sont une bonne nouvelle, même si c’est lié ici au taux de retour, ce qui prouve qu’il est le nœud du problème ». Sachant qu’il ne faut pas confondre taux de remise et bénéfice net. Sur ce taux, le libraire doit payer son loyer, son personnel, etc. Reste une rentabilité de 0,5 % sur le chiffre d’affaires. Vingt fois moins qu’un opticien ! En quête d’équilibre entre efficacité, spécificité et rentabilité, la librairie n’a vraiment rien d’un commerce de luxe.