Islamophobia
Les islamophobes « progressistes » souchent leurs prédications dans une « laïcité » à deux balles.
dans l’hebdo N° 1268 Acheter ce numéro
Il y a différentes manières d’excréter publiquement des proférations phobiques, du style : n’est plus cheux nous, mâme Dupont, depuis que des hordes mahométanes construisent deux mosquées autour de chacune de nos églises romanes (comme dirait le rigoureux Jean Daniel). Par exemple, il y a celle, très directe, de l’écrivain public (dont nous tairons ici le nom) qui, mobilisant ses dix neurones, grogne tous les matins, depuis une grosse dizaine d’années, que nous sommes à la veille d’un « grand remplacement » de la population françousque von souche, dans lequel notre cher und vieux pays ne sera bientôt plus peuplé que d’Arabo-musulman(e)s – mélangé(e)s aussi de beaucoup de Noir(e)s. Si tu es normalement constitué(e), la logorrhée de ce délirant maniaque te fait sitôt que tu la lis gerber à (très) longs traits, mais Alain Finkielkraut, qui semble n’aimer rien tant que cette excitation des instincts dégueulasses où les fafferies prospèrent, considère quant à lui que son auteur est un prosateur « rare et précieux ».
Puis il y a la façon moins directement râpeuse de Michel Onfray – encore un philosophe de télévision –, qui, dans le débatteux quotidien Libération (où l’on a donc le goût de recueillir ces prédications), s’inquiète de « l’apparition d’un islam qui, sur un certain nombre de sujets de société, confronte ses valeurs religieuses et théocratiques aux valeurs laïques et démocratiques de la République », pour proclamer : « Refuser de prendre acte de cette modification sociologique du paysage français, c’est interposer l’idéologie entre son jugement et la réalité. » (Puis de conclure, complètement débondé : « La République a honte de ses valeurs les plus récentes, dont le féminisme et la laïcité : elle les affiche haut et fort, mais elle ne les impose pas quand il le faudrait. » )
Quand l’écriveux réactionnaire dont Finkielkraut aime si fort les raffinements dénonce tout de go ce qu’il appelle aussi – juché sur sa dignité – une « contre-colonisation », Onfray, du haut de son piédestal médiatique de penseur « de gauche », répond donc qu’il s’agit plutôt d’une « modification sociologique », et c’est sûr que cette formule est moins immédiatement identifiable pour ce qu’elle est. Mais ne pas s’y tromper : nos deux moralistes défiltrés disent là la même chose. Ils contribuent l’un et l’autre, en assurant que la France s’islamiserait, à la confection du terreau, si tragiquement fertile ces temps-ci, où prospèrent les haines anti-musulmanes : la seule vraie différence est que le second le pétrit de la « laïcité » à deux balles où les islamophobes « progressistes » souchent désormais leurs prédications.
Ne pas s’étonner, après cela, de la constante progression des « actes anti-musulmans », telle que la restituent, avec une terrifiante constance, les rapports annuels de la Commission nationale consultative des droits de l’homme – ou de ce que, pour le dire autrement, la libération de la parole précède de peu, dans ces matières, celle des profanations.
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.