« Je ne vois pas ce qu’on peut faire… »
Que pensent les Français d’une intervention militaire en Syrie ? Propos recueillis dans les quartiers populaires de l’Est parisien.
dans l’hebdo N° 1268 Acheter ce numéro
Àla veille de l’ouverture du G 20 à Saint-Pétersbourg, le quartier de Belleville est surtout préoccupé par la rentrée scolaire. Néanmoins, lorsqu’on les interroge sur le conflit en Syrie, les gens ont visiblement envie de parler. Un groupe de retraités nous répond volontiers. « Dédé », 78 ans, ancien typographe, se demande : « Pourquoi on n’envoie pas un bon commando d’agents bien entraînés pour régler son compte à ce salaud de Bachar ? » Avant toutefois de soupirer : « Mais c’est vrai qu’ensuite il y a le risque que les islamistes prennent le pouvoir… » Son ami Guy [^2], comptable à la retraite, doute encore plus du bien-fondé d’une intervention militaire à laquelle la France prendrait part : « Assad est un assassin, mais, sur cette histoire d’armes chimiques, j’avoue que je comprends mal pourquoi il aurait gazé sa population alors qu’il a une armée puissante qui est en train de remporter des victoires sur le terrain. En tout cas, c’est sûr que c’est une vraie connerie d’y aller. Ça va être l’embrasement… » Un peu plus loin, à l’entrée du métro Couronnes, des hommes d’origine algérienne, la quarantaine, discutent. L’un d’eux, Mahmoud, chauffeur de taxi kabyle, s’apprête à démarrer son service. Comme les autres, il s’oppose à une intervention militaire. « Si on veut réagir au nom des droits de l’homme, alors il faut faire la chasse à tous les dictateurs. Si la France et les États-Unis y vont, c’est par intérêt. Et ce sera la pagaille ensuite. Comme en Irak. À la fin, c’est le peuple syrien qui trinquera. Et puis c’est beaucoup trop risqué pour la région, mais aussi pour nous : si on attaque Bachar, on ne sera pas tranquilles, il pourrait faire péter des bombes à Paris. »
Majid, animateur socioculturel et militant associatif, reconnaît que « les images d’enfants morts vues à la télé ces jours-ci sont révoltantes ». Il reste qu’il se méfie de ce que racontent les médias. « Je ne sais pas ce qui se passe précisément là-bas, je n’y suis jamais allé. Mais si intervenir revient à aider les islamistes, alors non merci ! Quand certains jeunes de ce quartier, endoctrinés, partaient prétendument faire le jihad en Afghanistan, on les mettait en prison. Aujourd’hui, on va aller les aider ? Je ne comprends pas. Si la France et les États-Unis y vont, c’est qu’ils ont des intérêts bien précis ! » Un homme s’est approché. Il est serbe, âgé de 28 ans. Installé depuis trois ans en France, il travaille sur des chantiers. « Chacun devrait régler ses problèmes. Je me souviens des bombardements de l’Otan sur Belgrade. On disait : “des frappes chirurgicales”, et ça devait durer trois jours. Cela a duré soixante-seize jours. Les bombardements ont même touché un hôpital ! » À la mi-journée, c’est la sortie du lycée Voltaire, non loin du Père-Lachaise. Les jeunes semblent moins prudents. Nina et Lola, en première S, s’enflamment : « On a vu les infos à la télé, c’est terrible ! Tous ces morts… Mais je ne vois pas trop ce qu’on pourrait faire, à part encore plus foutre la merde. Envoyer l’armée ne va pas arranger les choses. C’est pas nos affaires, mais, en même temps, il y avait des corps partout ! » Mehdi, 16 ans, en seconde, est plus déterminé : « Il faut mettre un terme à ce conflit rapidement. Ce n’est pas normal qu’un peuple se fasse massacrer comme ça. Bien sûr, après l’Afghanistan et l’Irak, je comprends qu’on ait peur de s’embourber et de perdre beaucoup de soldats. Mais là, faut y aller. Si ça nous arrivait, on aimerait bien que quelqu’un vienne à notre secours ! » À côté, Lila renchérit : « Ce qui se passe est hallucinant ! Même si c’est très compliqué, il faut intervenir, et vite. Il y a déjà eu assez de morts, ça suffit ! »
[^2]: La plupart des personnes ont accepté de nous répondre à la condition que leurs prénoms soient modifiés.