Jean Jouzel : « Tout indique que le dérèglement se poursuit »
Le Giec rend cette semaine son nouveau rapport. Le climatologue Jean Jouzel en donne ici les principaux enseignements et présente les scénarios pour l’avenir.
dans l’hebdo N° 1270 Acheter ce numéro
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) rend public le 27 septembre son 5e rapport depuis 1990. Il s’agit du premier chapitre, concernant l’évolution des phénomènes climatiques, avant trois autres étapes (conséquences, impacts socio-économiques et recommandation aux politiques) à paraître jusqu’à l’automne 2014. Ce document, mis à jour tous les quatre à six ans, fait autorité dans le monde. Ses conclusions servent de référence dans les négociations internationales.
Une fuite, publiée par le New York Times, indique que ce 5e rapport du Giec confirme l’augmentation des températures terrestres. Qu’en est-il ?
Jean Jouzel : Pour plus de précisions, attendons que le rapport soit rendu public. Cependant, il est établi par des études publiées ces dernières années que l’accroissement des températures moyennes a ralenti depuis 2002. Ce « plateau » de la courbe risque de focaliser l’attention, il a d’ailleurs déjà provoqué de nombreuses discussions depuis six mois.
Un argument de poids pour les climato-sceptiques ?
Je ne doute pas de leur capacité d’exploitation de ce résultat, des écrits remettant en cause la réalité du réchauffement circulent… Néanmoins, tout indique à la grande majorité des scientifiques que ce rapport est dans la droite ligne du précédent, publié en 2007 [^2]. En effet, même si l’on émet toujours plus de CO2 chaque année, il n’y a pas de raison pour que les températures grimpent de manière régulière. Ce plateau n’est pas une surprise pour les climatologues, il traduit la variabilité naturelle de phénomènes affectant les températures, tels le cycle d’activité du soleil, les éruptions volcaniques [^3], etc. D’un autre côté, d’autres indicateurs confirment indéniablement le dérèglement : le niveau des mers continue d’augmenter sous l’effet de la fonte des glaciers, qui reculent presque partout, les surfaces de glace de mer rétrécissent. Car c’est l’une des révélations importantes de ce rapport : la chaleur accumulée par l’effet de serre pénètre maintenant l’océan profond.
Quelles sont les nouveautés de ce rapport ?
Pour la première fois, nous consacrons tout un chapitre aux nuages et aux aérosols [^4]. Leur interaction avec le rayonnement joue un rôle majeur dans l’évolution des températures, mais nous manquions de données sur le phénomène, qui commence à être mieux appréhendé. Par ailleurs, nous avons renversé notre approche pour les nouveaux scénarios d’évolution climatique que nous avons retenus. Au lieu de considérer ce qui se produirait en fonction de différentes hypothèses d’émissions de CO2, nous présentons les conditions qu’il faudrait respecter pour que la hausse moyenne des températures ne dépasse pas, par exemple, 2 °C en 2100. C’est un message adressé au camp des économistes : quelles actions devons-nous mener pour limiter la dérive ? D’autre part, nous avons également développé, en complément des perspectives de long terme, un chapitre sur les conséquences régionales à vingt ou trente ans – un plus court terme « local » mieux perceptible par l’opinion que le long terme habituellement considéré.
En 2007, les prévisions de hausse des mers par le Giec avaient été vite démenties par de nouveaux travaux beaucoup plus alarmistes. Qu’en est-il en 2013 ?
Le chapitre des océans a généré beaucoup de débats au sein de la communauté scientifique. Nous connaissons bien le mécanisme de dilatation des eaux provoqué par le réchauffement. Mais il ne contribuerait à l’élévation que pour un tiers… On considère aujourd’hui que près de 40 % – trois millimètres par an – proviendraient de la fonte des glaciers du Groenland et de l’Ouest-Antarctique. Et le reste, soit près d’un tiers, du recul des autres glaciers terrestres. La question cruciale, pour les années à venir : la fonte de la calotte glaciaire du Groenland va-t-elle continuer à s’accélérer, comme au cours des dernières années ? Par ailleurs, nous disposons également de données plus précises sur les climats du passé, notamment le rôle de la fonte du Groenland et de l’Ouest-Antarctique il y a cent vingt mille ans. Le niveau des mers était alors de plusieurs mètres au-dessus de leurs cotes actuelles. Ce qui nous aide à imaginer ce qui pourrait se passer. Cette perspective m’inquiète beaucoup : une telle évolution affecterait les générations futures de manière irréversible. Songeons que 200 millions de personnes habitent en bord de mer à des altitudes inférieures à 40 cm par rapport au niveau de la mer…
[^2]: Il avait fait grand bruit, concluant à la réalité du dérèglement ainsi qu’à la responsabilité de premier rang des activités humaines.
[^3]: Dont les poussières émises dans l’atmosphère refroidissent le climat terrestre.
[^4]: Particules en suspension dans l’atmosphère.