Les Allemands reviennent au public
En marge des législatives, les habitants de Hambourg votent sur la reprise en main municipale de leurs réseaux. Correspondance, Rachel Knaebel.
dans l’hebdo N° 1269 Acheter ce numéro
Les Allemands iront aux urnes ce dimanche pour renouveler leur Parlement. À Hambourg, deuxième ville du pays, les électeurs auront un bulletin supplémentaire pour répondre à la question : la ville-État doit-elle reprendre entièrement en main les réseaux locaux de gaz et d’électricité ? La possibilité se présente avec la fin, au 1er janvier 2015, des concessions accordées il y a un peu plus d’une décennie aux entreprises E.ON et Vattenfall.
Ce référendum local est le fruit d’une initiative citoyenne. « Nous avons derrière nous une cinquantaine d’organisations, explique Wiebke Hansen, qui mène la campagne pour le oui. Le soutien est très large. Ça va d’associations écologistes et de locataires jusqu’à des institutions religieuses. » Il y a trois ans, ils n’étaient pourtant qu’une poignée à lancer la bataille : entre autres, Attac et les Amis de la Terre. Mais l’initiative a rapidement réussi à rallier des dizaines d’autres groupes, et surtout réuni les plus de 100 000 signatures nécessaires pour organiser la consultation. « La sécurité de l’approvisionnement et des prix de l’énergie préoccupe beaucoup. La question est d’autant plus actuelle avec la transition énergétique. Celui qui gère les réseaux a le pouvoir de la freiner ou de la promouvoir. Nous faisons plus confiance à une commune qu’à une entreprise pour s’engager dans cette transition. » L’initiative hambourgeoise n’est pas isolée. La privatisation des réseaux énergétiques qui a eu lieu en Allemagne dans les décennies 1980-1990 subit un sérieux revers depuis quelques années. Car beaucoup des concessions arrivent à terme d’ici à 2016. Et de plus en plus de communes optent à cette occasion pour le retour au public : plus de 60 nouvelles régies municipales d’énergie se sont créées depuis 2007, et plus de 200 concessions ont été reprises par des entreprises communales. C’est dans ce contexte que le référendum d’initiative populaire de Hambourg sera suivi, le 3 novembre, par une consultation similaire à Berlin. Ici, l’enjeu est le retour dans le giron public des 35 000 km de réseau électrique de la capitale. À terme, l’initiative Berliner Energietisch aspire aussi à la création d’un fournisseur communal d’électricité, qui soutiendrait la production décentralisée d’énergies renouvelables et investirait dans les économies d’énergie. Cette régie électrique adopterait aussi un fonctionnement transparent et démocratique : une partie de son conseil d’administration serait par exemple élue au suffrage direct par les Berlinois.
Dans les deux villes, c’est pour l’instant l’entreprise Vattenfall qui gère les réseaux électriques. Le groupe suédois est loin d’être le partenaire idéal sur le chemin de la transition énergétique. Il exploite des centrales nucléaires en Suède et des mines de charbon, énergie très polluante, dans la Lusace, à une centaine de kilomètres au sud de Berlin. Mais, même en cas de succès aux deux consultations, Berlinois et Hambourgeois ne sont pas certains d’être débarrassés de ce géant. Car les municipalités seront de toute façon obligées de conduire une procédure ouverte de marché public pour attribuer la future concession de gestion des réseaux. Et il y a des chances pour que l’électricien suédois candidate à nouveau. « Si le oui l’emporte, cela ne conduira certes pas directement à la reprise publique des réseaux, explique Wiebke Hansen. Mais cela contraindra Hambourg à créer une entreprise publique qui devra mettre toutes les chances de son côté pour obtenir le marché. » La municipalité peut aussi intégrer à l’appel d’offres des critères particuliers, par exemple sur l’influence communale, qui amèneraient à ce que seule une entreprise publique soit éligible. Quoi qu’il en soit, « la consultation est avant tout un signal politique fort », souligne Luise Neumann-Cosel, cofondatrice de la coopérative berlinoise Bürger Energie Berlin. Cette organisation veut aller plus loin qu’une simple reprise publique du réseau électrique. « Nous proposons un modèle de coopération avec la ville de Berlin : une régie commune où la coopérative et la ville seraient toutes deux sociétaires. Les Berlinois pourraient devenir membres de la coopérative et s’impliquer directement dans la gestion des réseaux. » La coopérative berlinoise peut s’appuyer sur l’exemple d’une grande sœur qui a déjà plus de vingt ans : l’EWS Schönau. Cette coopérative a d’abord repris le réseau électrique d’un village du sud-ouest de l’Allemagne, avant de devenir elle-même fournisseur d’électricité. Elle approvisionne aujourd’hui plus de 100 000 foyers allemands tout en investissant dans la production de renouvelables.