« Mon âme par toi guérie » de François Dupeyron : Un homme de toute bonté
Avec Mon âme par toi guérie, François Dupeyron signe un film qui fait du bien.
dans l’hebdo N° 1270 Acheter ce numéro
Dans le dossier de presse de Mon âme par toi guérie, François Dupeyron exprime sa colère et même son amertume face au système de financement du cinéma par la télévision, dont il se dit victime depuis dix ans et qu’il va jusqu’à qualifier de « totalitaire ». Ces propos, d’abord destinés aux journalistes, pourraient être discutés. Leur radicalité risque en tout cas d’attirer l’attention, un peu trop peut-être, et cela aux dépens du film lui-même. Ce serait une erreur. Pour la bonne raison que, malgré le refus des chaînes hertziennes de participer au financement de ce film – mais le producteur Paolo Branco a su faire sans –, Mon âme par toi guérie est une réussite. Il met en scène Frédi (Grégory Gadebois), homme taiseux et opaque, dont la mère vient de mourir. Celle-ci lui a transmis un don : le pouvoir de guérir avec ses mains. Mais Frédi ne veut pas en user. Jusqu’à ce qu’il se retrouve dans une situation où son sentiment de culpabilité est tel qu’il ne peut faire autrement que de l’essayer. L’intelligence de François Dupeyron est de ne pas avoir construit son film, tiré de son propre roman, Chacun pour soi, Dieu s’en fout [^2], autour du don de Frédi. Mon âme par toi guérie ne raconte pas un prodige, encore moins une histoire de charlatanisme, même sympathique. La faculté de soigner entre dans l’existence de Frédi, mais ne lui donne pas pour autant un sens. Ce don le dépasse, qui s’accompagne de visions extralucides dont il fait parfois part à ses visiteurs malades. Il l’exerce le plus simplement possible, laconiquement, sans pathos. Il en va de même pour le cinéaste, qui traite avec retenue toutes les scènes de « soin », même les plus délicates, comme celle avec une petite fille atteinte d’une leucémie, que sa mère, médecin mais décidée à tout tenter, accompagne, et pour laquelle Frédi semble ne rien pouvoir faire.
Son personnage, à la bonté réelle mais peu expansive, est pris dans sa complexité, de la même manière que ceux qui l’entourent : son père veuf (Jean-Pierre Darroussin), qui cherche une nouvelle raison de vivre, et avec lequel il se découvre une nouvelle complicité, un couple d’amis (Marie Payen et Philippe Rebbot), qui traversent des hauts et des bas, et sa fille, dont il est proche malgré des rapports exécrables avec son ex-femme. François Dupeyron filme avec justesse cette petite communauté vivant dans un quartier excentré d’une ville de la côte d’Azur, dans un lotissement fait de maisons légères et de caravanes, jamais montré de manière misérabiliste. Dans la plupart des histoires, Frédi serait l’archétype du bon copain à qui on demande un service quand on a besoin de lui – et c’est aussi ce qu’il fait dans ce film – mais n’aurait pas la stature du héros, il ne serait pas l’amoureux de l’héroïne. C’est pourtant ce qui arrive à Frédi, à qui Grégory Gadebois, révélé en 2011 par Angèle et Tony, d’Alix Delaporte, donne une intériorité compacte et une sincérité à fleur de peau. Tous les acteurs méritent d’ailleurs d’être salués. Frédi croise Nina (Céline Sallette), femme mystérieuse mais ouvertement alcoolique, dont il tombe immédiatement amoureux. L’attraction qu’ils éprouvent l’un vers l’autre passe par des non-dits, et surtout par l’absence du jeu de la séduction. Nina, intérieurement brûlée par sa vie antérieure avec un peintre, en serait incapable. Avec elle aussi, Frédi va s’avérer guérisseur. D’une autre manière qu’avec ses patients, non miraculeuse, mais volontaire et secrètement passionnée. On ne soigne pas les âmes comme les corps, suggère ce beau film au romantisme inscrit dans le quotidien.
[^2]: Éditions Léo Scheer, 2009.
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