Non à la ferme aux mille vaches !

Dans la baie de Somme, une association réunissant plusieurs villages se mobilise contre l’installation d’un gigantesque élevage bovin industriel et d’un méthaniseur surpuissant.

Thierry Brun  • 12 septembre 2013 abonné·es

Dans les rues de Drucat, village résidentiel de 900 âmes à quelques kilomètres au nord d’Abbeville, en baie de Somme, les pancartes ont fleuri : « Ferme-usine des 1 000 vaches, NON ! » La mobilisation contre l’installation d’une gigantesque ferme d’élevage hors sol et d’un méthaniseur a essaimé bien au-delà du département. « C’est un projet hors norme, du jamais vu ! », assure Claude Dubois, vice-président de l’association Nos villages se soucient de leur environnement (Novissen). Il nous rejoint sur le chantier après avoir traversé les riches terres agricoles des communes de Drucat-le-Plessiel et de Buigny-Saint-Maclou au volant de sa petite voiture électrique.

« Depuis une semaine *, ça y va ! Ils ont monté un hangar en peu de temps »,* raconte Henri Gauret, maire de Drucat, qui affirme n’avoir « rien signé du tout. On n’a pas le droit à la parole ! Le préfet a signé le permis de construire et l’autorisation d’exploitation de 500 vaches laitières, soit plus de 800 bêtes hors sol avec les génisses et les veaux. Et ce n’est qu’une étape ». À la suite d’actions menées par Novissen, les travaux ont cependant été retardés. Ils n’ont débuté qu’en avril dernier alors que « l’enquête publique est arrivée en plein mois d’août 2011, poursuit Henri Gauret. Cela nous a troublés, alors on a mis un courrier dans chaque boîte aux lettres pour avertir la population et on a demandé une prolongation de quinze jours, qu’on a obtenue. Il y a eu par la suite des réunions houleuses ». Malgré les recours de Novissen et de la mairie, une pétition de 37 000 signatures, des lettres aux élus et aux ministres de l’Écologie et de l’Agriculture, le chantier avance à grands pas. Sous un soleil de plomb, les ouvriers manœuvrent les pelles mécaniques du groupe Ramery, propriétaire des lieux, pour achever le gros œuvre sur près de 3 hectares. Une étable de plus de 200 mètres de long doit bientôt voir le jour, explique Claude Dubois, plan en main.

Michel Ramery, industriel du BTP dans le Nord-Pas-de-Calais (voir encadré), a en effet obtenu en février dernier l’autorisation d’exploiter sur le territoire de la commune un élevage bovin d’une capacité de 1 000 vaches laitières, auquel est associé un méthaniseur de 1,5 mégawatt. Soit « treize fois plus puissant que les méthaniseurs agricoles ordinaires. Il serait interdit en Allemagne, car trop proche des habitations ! », s’inquiète Novissen. Pour les quelques membres de l’association réunis à la mairie de Drucat, la « ferme des 1 000 vaches » présente « un risque majeur au niveau environnemental, sanitaire et social ». Pourtant, « Michel Ramery s’appuie sur un décret de 2011 qui vise à favoriser le développement de la production et de la commercialisation de biogaz dans les exploitations agricoles », souligne Marc Dupont, secrétaire de Novissen. Sollicité par l’association, Philippe Mauguin, directeur de cabinet de Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, reconnaît que « ce projet demeure très éloigné du modèle d’exploitation familiale traditionnellement développé sur le territoire qu’ [il] entend défendre prioritairement ». Mais il estime qu’il « s’appuie sur des méthodes et technologies innovantes, dont les résultats, s’ils sont vérifiés, pourraient être exploités dans le cadre de projets collectifs ». « Nous sommes en quelque sorte des cobayes. La ferme est à moins de 600 mètres des premières maisons du Plessiel ! », s’exclame Claude Dubois, pilote, qui a réalisé des photos aériennes du site. « Et la ferme est sous les vents dominants », ajoute Henri Gauret, retraité de Météo France. « La loi française n’a pas prévu le cas de fermes de plus de 1 000 vaches hors sol », s’inquiète Michel Kfoury, médecin urgentiste, chef du pôle « anesthésie-réanimation » de l’hôpital d’Abbeville et président de Novissen. Ce formateur aux risques de la grippe aviaire, qui a travaillé avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS), affirme que celle-ci « recommande d’éviter les concentrations d’animaux, source de maladies infectieuses avec des risques de transmission à l’homme. Un élevage en masse, doit être loin des habitations pour éviter la proximité entre l’animal et l’humain ».

Le propriétaire du site de la ferme usine des Mille vaches, Michel Ramery, est la 349e fortune de France, et le chiffre d’affaires de son groupe (540 millions d’euros) en fait la dixième fortune du BTP. « Si Michel Ramery a fait son ascension dans le monde du BTP, c’est en s’inspirant du milieu agricole, dont il est issu », explique la biographie mise en ligne sur le site du groupe. À partir de 2006, Michel Ramery se découvre un vif intérêt pour le secteur de l’environnement et du tri des déchets. Le groupe se fait connaître pour ses nombreux achats d’entreprises agricoles du nord de la France, tout en poursuivant des activités de promotion immobilière à Paris. Cette double casquette consolide l’implantation de Michel Ramery en Picardie, en Haute-Normandie et dans le Nord-Pas-de-Calais. Le groupe a en effet remporté plus de 700 marchés publics depuis 2007 dans ces régions, contre 74 pour Bouygues, pourtant numéro un mondial du BTP. L’initiateur de la ferme des Mille vaches est devenu un interlocuteur incontournable pour les collectivités locales. Son nom apparaît aussi dans plusieurs enquêtes judiciaires, notamment sur les conditions du prêt concédé au président du club de football le RC Lens. Dans une autre enquête, le nom du groupe est cité dans le cadre du présumé financement occulte du Parti socialiste dans le Nord-Pas-de-Calais.

Dans son exploitation d’Hallencourt, au sud d’Abbeville, le producteur céréalier Sylvain Vaquez, un des rares agriculteurs à s’exprimer sur le projet, est très critique : « La prévention des maladies, c’est l’enfer dans ces mégastructures ! » En ce qui concerne les résidus du méthaniseur, il est catégorique : « Jamais je ne prendrai l’épandage de cette ferme. On sait que, dans les déjections, on a toujours des reliquats d’antibiotiques. Je n’ai pas envie d’épandre ces reliquats sur mes parcelles. » Marc Dupont sort une carte du département : « Il faut savoir que la zone d’épandage prévue concerne 24 communes, et à terme 50. Cela représente 40 000 tonnes de résidus à épandre sur une courte période, sans parler du transport ». Or, précise Michel Kfoury, « dans le projet, seulement 50 % des déchets sont agricoles. Le reste, ce sont des déchets alimentaires et industriels. Le promoteur annonce des “risques acceptables de cancer” pour la population locale ». Pour Vincent Chombart, producteur et porte-parole de la Confédération paysanne dans la Somme, les petits producteurs de lait sont en outre menacés de disparition : « L’industriel est en mesure de vendre le lait à un prix inférieur à celui du marché car son projet s’équilibre avec la vente de l’électricité produite par le méthaniseur ainsi que la vente des résidus de déchets. » Où est l’intérêt général ?, lance Novissen. L’association a déposé une requête en excès de pouvoir contre le permis de construire, et déployé le 6 septembre une banderole à l’entrée du chemin qui mène au chantier. Avant bien d’autres actions.

Écologie
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