Quel budget pour l’emploi ?
Les politiques d’austérité tuent la croissance.
dans l’hebdo N° 1270 Acheter ce numéro
Le Premier ministre entend défendre un budget « favorable à la croissance et à l’emploi ». Pour cela, le gouvernement déclare vouloir concilier des mesures en faveur de l’offre (réduction des dépenses, pacte de compétitivité) et des mesures qui évitent de plomber la demande (report de deux ans de l’objectif des 3 % du pacte de stabilité, fiscalité évitant en théorie de taxer les bas revenus). Le succès de sa politique dépendrait ainsi du bon dosage entre « socialisme de production » et « socialisme de redistribution ».
Pour autant, de nombreux observateurs ont noté que Keynes était le « grand oublié du budget [^2] » et que la barre penchait plus du côté du « socialisme de l’offre » que du « socialisme de la demande ». Pour reprendre le jargon des économistes, une politique de l’offre pourrait être justifiée si le chômage à traiter était de nature « classique », c’est-à-dire s’il était lié à un problème de coût du travail. Or, toutes les enquêtes montrent que le chômage est désormais à dominante « keynésienne », autrement dit qu’il est dû à une insuffisance de la demande. Dans ce cas, la politique de l’offre aura beau réduire le coût du travail pour rétablir le taux de marge des entreprises, elle n’incitera aucunement ces dernières à investir, dès lors que leur stock de capital est sous-utilisé. La baisse du taux de croissance potentielle est alors due au déclassement du stock de capital. Elle n’est pas imputable à un coût du travail trop élevé. Telle est la thèse hétérodoxe que partagent un nombre croissant de macroéconomistes. Les politiques d’austérité provoquent un effet récessif qui tue la croissance. Les recettes fiscales escomptées ne sont pas au rendez-vous. Le taux d’endettement explose, malgré la baisse des déficits. Ainsi s’explique le « paradoxe de la dette » : la réduction des déficits (obtenue à travers ponctions fiscales et contraction de dépenses) engendre la montée de l’endettement public. Tel est le phénomène des courbes en ciseaux que subissent désormais les pays qui ont appliqué à la lettre les recommandations de la Commission européenne. Persévérer dans cette voie ne revient en aucun cas à s’affranchir des marchés financiers. Bien au contraire. Les nouvelles ponctions fiscales sont affectées au remboursement d’une dette qui ne cesse de s’accroître en raison de l’impact négatif sur la croissance de la réduction trop brutale des déficits.
Le débat à l’Assemblée nationale sur la loi de finances devra tenir compte de ces données. Les macroéconomistes estiment que le multiplicateur de dépenses est désormais de l’ordre de 1,5. Ce qui signifie que l’impact sur la production d’une variation des dépenses publiques et privées est tout de même significatif, sans être spectaculaire. Dans ce cas, une contraction de 15 milliards d’euros de la dépense publique, telle que celle prévue par le projet de loi de finances, et à laquelle il faut ajouter une hausse de 6 milliards de la TVA, provoquerait une baisse de la production de plus de 30 milliards (1,5 point de PIB). Bien que les conjoncturistes de Bercy affirment avoir intégré cet effet négatif, reste à savoir s’il permettra d’atteindre ou non l’objectif d’une croissance de 0,9 % en 2014. Car en deçà de celui-ci, les emplois aidés ne permettront pas de stabiliser le chômage.
[^2]: Voir Libération du 16 septembre.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.