Rara des villes, rara des champs

Avec Deblozay, la compagnie Rara Woulib revisite la tradition du « rara » haïtien.

Anaïs Heluin  • 19 septembre 2013 abonné·es

Dans l’ombre, un visage grimé émerge puis s’évanouit. Plus rien. Que la nuit, où même les espaces les mieux connus se teintent de mystère. Et la sensation d’une présence tapie quelque part, sur le chemin que la compagnie Rara Woulib a défini à partir de la trame de son spectacle, Deblozay, pour ses spectateurs, ou plutôt pour son cortège de déterreurs de mémoire urbaine ou rurale. Puis des sons envahissent le silence, d’abord discontinus, enfin rassemblés en une étrange mélodie accompagnée de chants haïtiens.

Lentement, le rara du collectif composé d’une quinzaine de musiciens, comédiens, plasticiens, costumières et artificiers prend forme. Il invite à une relecture des rues, ** des places, des champs ou marais dans lesquels il trimbale son savant mélange de douceur et d’étrangeté. Parfois presque comme jadis en Haïti, où le rara sillonnait villes et campagnes durant le Carême en un carnaval de chants et de danses mi-sacrés mi-profanes. Parfois avec une teneur théâtrale et une modernité étrangères à la tradition d’origine, mais toujours mises au service d’une exploration de l’histoire et de l’âme du lieu investi. Nous, c’est en Camargue, dans le marais du domaine de la Palissade, que nous avons suivi la procession de Deblozay. Toute une nuit de marche en plein dédale de végétation et d’eau stagnante dans le cadre du festival Envies Rhônements, rythmée par les va-et-vient des artistes aux faces cadavériques et aux tenues dignes d’une opérette d’outre-tombe. Surtout musical, discrètement clownesque et théâtral, leur jeu laissait sentir la nature environnante, en soulignait la magie changeante au fil des heures. Subtils et discrets, les chorégraphies, les invocations des ancêtres et les dialogues entre des chanteuses aux mille jupons et des joueurs de klewon et de vaskin – instruments haïtiens – aux airs de soldats en permission formaient avec le paysage une partition visuelle et sonore minimaliste. Un parti pris qui crée l’attente – d’un drame, d’une ébauche d’intrigue – avant de laisser place à un état d’entière réceptivité aux micro-événements qui jalonnent le parcours. Une relève aux flambeaux vaguement monstrueuse, une muette course-poursuite, l’apparition d’une immense tablée garnie de vin et de soupe au détour d’un chemin. Autant de cristallisations de la délicate présence de Rara Woulib qui nous incitent à sonder notre rapport aux banals sentiers dans lesquels se balade notre quotidien.

Théâtre
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