« Tip Top », de Serge Bozon : En quête de folie
Cette intrigue policière extravagante ausculte notre société en déjouant les clichés. Réjouissant.
dans l’hebdo N° 1268 Acheter ce numéro
Farid Benamar, un policier algérien qui a quitté son pays dans les années 1990, devenu indic pour un commissariat dans la banlieue de Lille, a été retrouvé mort. Qui l’a tué ? Quelle négligence policière peut expliquer ce meurtre ? Deux membres de la police des polices débarquent pour tirer cette affaire au clair : Esther Lafarge (Isabelle Huppert), la chef, et Sally Marinelli (Sandrine Kiberlain), sa seconde.
Un duo de choc. La première est une brutale, une autoritaire consciente de ses qualités d’enquêtrice, peut-être réelles, assurément baroques ; la seconde, un peu godiche, fascinée par sa supérieure, aime regarder en cachette les gens qui font l’amour, ce qui lui a valu d’être placardisée pour « comportement contraire à l’éthique de la police ». Autrement dit, l’une tape, l’autre mate : un résumé de l’activité policière. Tip Top, troisième long métrage de Serge Bozon, est un film de dingues. On n’en finirait pas de faire la liste de ses extravagances : une enquête policière improbable dont on ne verra jamais la fin ; des personnages de flics loufoques – Esther et Sally, mais aussi Robert Mendes (François Damiens), un beauf pervers et sentimental ; des scènes inouïes, comme celle où Esther est rejointe par son mari violoniste (Samy Naceri) pour une nuit d’amour avec coups et blessures…
Tip Top ne se résume pourtant pas à sa réjouissante autant qu’inquiétante folie. À travers son burlesque, il ausculte notre société, où les immigrés et leurs enfants sont partout : dans le réel, dans les histoires d’amour, dans les fantasmes. Mais Serge Bozon a choisi non de développer un discours mais de multiplier les images, accueillant et déjouant les clichés tout à la fois, de même qu’il prend à revers les a priori sur le cinéma d’auteur. Il troue aussi son film de moments inattendus, d’une humeur apaisée, comme ce plan troublant sur le regard d’Isabelle Huppert soufflant à l’oreille de Sandrine Kiberlain qu’elle ne pourra pas la déplacardiser…