France Télé, film catastrophe

Plan social, échec des programmes, audits coûteux, gestion lamentable… Le vaisseau public fait scandale et les syndicats dénoncent une télévision « low cost ».

Jean-Claude Renard  • 24 octobre 2013 abonné·es

Ça passe mal. La direction de France Télévisions a présenté un plan de départs volontaires de 361 postes, entre février et juin 2014. Un plan adressé aux salariés de plus de cinq ans d’ancienneté, qui toucherait notamment les journalistes, les services de sous-titrage et l’Agence internationale d’images de télévision (AITV), filiale dédiée à l’actualité africaine. La direction entend ramener les effectifs autour de 9 750 salariés. Ce dégraissage, censé réduire la masse salariale, suit un autre plan de départs de 700 postes ces dernières années. L’objectif : un retour à l’équilibre des comptes en 2015. C’est trop, selon les syndicats, dénonçant à l’unisson les perspectives d’une télévision « low cost », une décision sans concertation. L’intersyndicale a déposé un préavis de grève pour le 7 novembre, sur l’ensemble des chaînes du groupe, qui pourrait perdurer. D’une façon générale, le seul départ volontaire accepté par les syndicats, c’est celui de Rémy Pflimlin.

Au climat social délétère s’est ajouté un parfum de scandale financier chez qui prétend « maintenir ses efforts d’économies » à travers « une maîtrise rigoureuse des effectifs ». Mercredi 16 octobre, le Canard enchaîné a publié un document interne sur la transformation du groupe public en entreprise unique. Une mutation passant par la mutualisation des moyens et l’uniformisation des statuts. Le tout pour faire des économies. Coût de l’opération, lancée en 2009 sous Carolis, et poursuivie par son successeur : 101,2 millions d’euros. La facture se partage entre « cabinets de conseils, études savantes, voyage de travail, nouveaux systèmes informatiques, déménagements et emménagements, plans de départ, tables rondes sociales, formation, etc. ». Têtes de gondole de cette gabegie, le cabinet privé américain Bain & Company et le Français Ineum Consulting : 11,3 millions d’euros pour le premier, 3,06 millions pour le second, entre 2009 et 2010. Excusez du peu. Parmi diverses prestations pour d’autres heureux élus, une « assistance à la mise en œuvre d’une classification des emplois » (sic) à 165 000 euros, l’analyse de la « perception du changement » facturée 96 000 euros, des spécialistes « en risques sociaux » payés 536 000 euros et 35 millions d’euros pour le plan de départ, sans effet puisque le nombre de salariés est resté quasi identique, l’entreprise ayant rembauché en nombre. S’y ajoutent des dépenses immobilières, des frais de communication, des « conventions managériales », etc. À l’évidence, on s’est nourri sur la bête. France Télé n’a pas démenti. Syndicats et salariés peuvent apprécier. Cette béchamel infernale tombe au moment où 133 millions d’euros manquent dans les caisses du groupe pour l’année 2013. Carolis avait promis 66 millions d’euros d’économies en 2012 pour son entreprise unique. Quatre fois plus les années suivantes ! On en rigole amer dans les couloirs. Parallèlement, concentrées avant 20 heures, les recettes publicitaires s’effondrent. La chute des audiences des programmes en « access prime time » s’est soldée par la fuite des annonceurs. Sinon pour des blagues Carambar, qui voudrait placer une réclame autour de l’émission quotidienne de Sophia Aram, rassemblant à peine 3 % de téléspectateurs (et même 2,6 % le 16 octobre) ? Pour un programme, rappelons-le, coûtant 90 000 euros par numéro à France 2.

Cette gestion pitoyable, parfois aux odeurs de soufre, renvoie à une autre, entre les mains du juge Renaud Van Ruymbeke depuis juillet, après une plainte « pour favoritisme et prise illégale d’intérêt ». Dans le collimateur de la justice, Patrick de Carolis, bénéficiaire de contrats de conseil avec la direction actuelle, via sa propre société, Consulting et Participation (entre autres, 153 000 euros de facture pour les 18 derniers mois). Tout en étant animateur producteur à France 3. Ex-dircab et ex-communicant de Copé, numéro 3 de France Télé sous Carolis, aujourd’hui expert médias chez Morandini, Bastien Millot a commenté toute la semaine des banalités. Est-ce parce que son propre dossier est aussi entre les mains de Van Ruymbeke ? Après son départ en 2008, sa société de conseils Bygmalion a obtenu plus d’1,2 million d’euros de contrats avec France Télé ! Des contrats toujours reconduits. Au moment de faire des économies sur le dos du personnel, salariés et syndicats sauront aussi apprécier.

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