Haro sur les Bédouins

La Knesset s’apprête à adopter un plan de déplacement et de concentration de la population arabe du Néguev.

Denis Sieffert  • 31 octobre 2013 abonné·es

La politique de colonisation intensive menée par le gouvernement Netanyahou ne concerne pas seulement Jérusalem et les territoires palestiniens de Cisjordanie. Elle s’applique aussi à l’intérieur même des frontières d’Israël contre les populations arabes qui sont restées sur place au moment de la création de l’État hébreu, en 1948. Un plan concocté par une commission présidée par Ehud Prawer, directeur de la planification au cabinet du Premier ministre, est actuellement en discussion à la Knesset, le Parlement israélien. Il s’attaque aux Bédouins qui peuplent le Néguev, cette zone semi-désertique du sud d’Israël [^2].

Selon Michèle Sibony, une des responsables de l’Union juive française pour la paix, qui vient de se rendre sur place, il s’agit de « la suite de ce qui s’était passé dans les années 1970 en Galilée pendant ce que le régime avait appelé “yehud ha Galil”, la judaïsation de la Galilée [^3] ». Il s’agit de poursuivre « la stratégie de la fragmentation » qui vise à conférer à la population palestinienne des statuts différents. L’objectif est évidemment de liquider tout sentiment d’appartenance commune et de solidarité. Avec le plan Prawer, le gouvernement israélien veut en finir avec les revendications bédouines sur les terres. Des terres qui ne représentent pourtant que 5 % du Néguev. Le plan prévoit la confiscation de 50 % de ces 5 % et la destruction de vingt villages dits « non reconnus ». L’État israélien prétend avoir besoin de ces terres pour y implanter des bases militaires. « Mais nous savons bien, note Michèle Sibony, que l’État propose terres et subventions à de jeunes couples israéliens juifs ou à des groupes désirant créer des villages juifs. C’est un programme de judaïsation du Néguev. » Comme souvent en Israël, les expulsions se parent d’une vague apparence de légalité. Mais les quelque deux cents revendications de terres déposées devant les tribunaux par les Bédouins ont toutes été rejetées. « Pourtant, rappelle Thabet Abu Rass, un responsable de l’association de juristes palestiniens Adalah, cité par Michèle Sibony, les Bédouins ne sont pas des nomades, ils ont toujours déplacé leurs troupeaux dans un rayon limité autour de leurs villages. » Pour appliquer son plan, le gouvernement s’appuie sur une argutie juridique en refusant de reconnaître aux Bédouins les titres de propriété qui datent de la Palestine mandataire. Des titres qui sont reconnus aux Israéliens juifs. Mais le rapport Prawer fait preuve d’un raffinement encore plus grand pour liquider les droits des Bédouins. Il leur interdit de vivre dans la partie du Néguev située à l’ouest de la route 40 et jusqu’à la bande de Gaza.

Il prévoit également qu’il faudra 30 ou 40 familles pour créer un nouveau village, mais que ces familles seront soumises à des critères de « densité » et de « visibilité économique ». Autrement dit, ni familles nombreuses ni familles économiquement faibles… Donc pas de village possible car, comme en témoigne Michèle Sibony, qui s’est rendue dans plusieurs villages condamnés par le plan Prawer, « la population bédouine est la plus pauvre d’Israël, elle vit dans des cabanes de tôle ondulée posées sur les cailloux de zones désertiques, sans eau courante ni électricité ». Mais le plus gros problème socio-économique est celui de la terre. « Pour cette population traditionnelle, prendre la terre, c’est prendre la vie », estime Thabet Abu Rass. Faute de pouvoir créer des villages, même déplacés, les Bédouins seront contraints d’aller dans l’une des sept villes-dortoirs prévues pour les accueillir. Déjà regroupés de force après 1948 dans une zone appelée « Siyaj » (« clôture » en arabe), ils seront un peu plus encore arrachés à leurs terres et à leurs traditions. Ce qui conduit Thabet Abu Rass à s’interroger : « Expliquez-moi selon quel principe un juif peut venir habiter où il veut dans le Néguev, et dans le mode d’habitat de son choix, ville, village, ferme individuelle, moshav, kibboutz, et seuls les Bédouins seraient contraints de vivre dans certaines zones et en ville seulement ? »

[^2]: En 1948, 90 000 Bédouins vivaient dans le Néguev. Après la Nakba (la « catastrophe »), ils n’étaient plus que 10 000. Ils sont aujourd’hui 210 000, soit un tiers de la population du Néguev. Avec les 60 000 qui vivent au nord d’Israël, ils sont 270 000 Bédouins dans le pays.

[^3]: Voir son rapport intégral sur le site de l’UJFP.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes

Pour aller plus loin…

La Brigade rouge : un poing c’est tout !
Portfolio 20 novembre 2024 abonné·es

La Brigade rouge : un poing c’est tout !

Pour pallier les carences et manquements de l’État indien, l’ONG la Brigade rouge s’est donné pour mission de protéger et d’accompagner les femmes qui ont été victimes de viol ou de violences sexistes et sexuelles. Reportage photo.
Par Franck Renoir
À Koupiansk, en Ukraine, « il ne reste que les vieux et les fous »
Reportage 20 novembre 2024 abonné·es

À Koupiansk, en Ukraine, « il ne reste que les vieux et les fous »

Avec les rapides avancées russes sur le front, la ville de Koupiansk, occupée en 2022, est désormais à 2,5 km du front. Les habitants ont été invités à évacuer depuis la mi-octobre. Malgré les bombardements, certains ne souhaitent pas partir, ou ne s’y résolvent pas encore.
Par Pauline Migevant
À Valence, un désastre climatique et politique
Reportage 20 novembre 2024 abonné·es

À Valence, un désastre climatique et politique

Après les terribles inondations qui ont frappé la région valencienne, les réactions tardives du gouvernement de Carlos Mazón ont suscité la colère des habitants et des réactions opportunistes de l’extrême droite. Pour se relever, la population mise sur la solidarité.
Par Pablo Castaño
Pourquoi les Démocrates ont perdu l’élection présidentielle
Analyse 13 novembre 2024 abonné·es

Pourquoi les Démocrates ont perdu l’élection présidentielle

Après la défaite de Kamala Harris, les voix critiques de son parti pointent son « progressisme », l’absence de considération des classes populaires et le coût de la vie aux États-Unis. Les positions centristes de la candidate pour convaincre les électeurs indécis n’ont pas suffi.
Par Edward Maille