Ian Brossat : « Il a manqué un vrai débat citoyen »
Chef de file des communistes à Paris, Ian Brossat estime que le Front de gauche doit sortir du tête-à-tête PCF-PG s’il veut éviter la situation de blocage rencontrée dans la capitale.
dans l’hebdo N° 1274 Acheter ce numéro
Rencontré dimanche avant qu’il n’intègre l’équipe de campagne d’Anne Hidalgo, Ian Brossat, 33 ans, agrégé de lettres, assumait le choix des militants communistes parisiens plus qu’il ne semblait l’avoir souhaité.
Après le vote des militants communistes, le Front de gauche, à Paris, est en vacances jusqu’à fin mars ?
Ian Brossat : Je ne le pense pas. Avec les deux élus du Parti de gauche au conseil de Paris, nous avons un travail commun qui va se poursuivre jusqu’en mars et j’espère au-delà. Nous aurons également les élections européennes, où, dans toutes les régions, le Front de gauche sera rassemblé. Enfin, je suis toujours convaincu que le Front de gauche est la stratégie qui doit nous permettre de redonner un espoir et d’offrir une alternative à gauche quand, dans le pays, le PS déçoit considérablement. Toutes ces raisons me font penser que le Front de gauche a de l’avenir, y compris à Paris.
L’alliance avec Anne Hidalgo est « une union libre », avez-vous dit. Qu’entendez-vous par là ?
Cela signifie que les communistes garderont pendant toute la campagne, et surtout la prochaine mandature, une liberté de parole et d’action totale. Le fait d’avoir été élus en 2008 sur une liste d’union avec Alexis Corbière et Danielle Simonnet ne nous a pas empêchés de nous démarquer d’un certain nombre de décisions prises par l’exécutif parisien. Nous nous sommes opposés à la privatisation de la collecte des déchets en 2008 ; nous avons refusé l’application de la réforme des rythmes scolaires en cette rentrée de septembre 2013… On ne peut pas dire que l’union au premier tour engendrerait une privation de liberté pour les élus que nous sommes, au contraire.
Le choix des communistes parisiens et la polémique qui l’a entouré ne vont-ils pas avoir des effets bien au-delà de la capitale ?
Je regrette que le Front de gauche ne soit pas parvenu, à Paris, à se présenter de manière rassemblée et à s’entendre sur une stratégie commune. Viendra le moment où il faudra analyser les responsabilités des uns et des autres ; on verra alors que tout ne repose pas sur les épaules du Parti communiste. Pour le reste, l’urgence est d’éviter toutes les déclarations qui contribueraient à insulter l’avenir. Les mots qui blessent ou qui claquent permettent de se faire applaudir sur une tribune mais risquent de fragiliser le Front de gauche. Tout le monde doit veiller dans son expression publique à l’unité du Front de gauche, notamment dans la perspective des élections européennes.
Vous avez dit que « le ton employé par les dirigeants du PG a eu pour effet de braquer les militants communistes », vous maintenez ?
Je suis convaincu que la stratégie des dirigeants du PG, qui a consisté à tendre les relations autour de l’enjeu de la stratégie municipale à Paris, a réveillé un certain nombre de réflexes identitaires chez les communistes, qui n’ont pas apprécié qu’on s’immisce dans leur débat interne. Maintenant tout cela est derrière nous. Ce que je souhaite pour aujourd’hui et pour demain, c’est qu’on préserve l’avenir en évitant de mettre de l’huile sur le feu. Qu’on ne compte pas sur moi pour dire un mot de travers sur Alexis Corbière ou Danielle Simonnet, avec lesquels j’ai des relations de travail et d’amitié.
Devant les élus de l’Association nationale des élus communistes et républicains, dimanche, Pierre Laurent a lancé un appel à « mener de front les campagnes des municipales et des européennes ». Cela ne sera-t-il pas difficile dans toutes les communes où le PCF est allié au PS ?
Si nous voulons pouvoir mener une campagne européenne, que nous jugeons tous cruciale, il faudra la commencer très tôt. Avant le premier tour des municipales, les deux scrutins se déroulant à deux mois d’intervalle. C’est comme cela qu’il faut comprendre le propos de Pierre Laurent. Par ailleurs, quelles que soient nos stratégies municipales, le refus des politiques d’austérité nous rassemble. Si nous avons pu nous allier avec Anne Hidalgo, c’est parce que nous avons reçu l’engagement que les politiques qui seront menées entre 2014 et 2020 ne seront pas des politiques d’austérité.
Le PS avait pris également des engagements vis-à-vis d’EELV qui ne sont pas tenus. Et Jean-Marc Ayrault avait déclaré en juillet 2012 qu’il ne serait jamais le Premier ministre de l’austérité…
Il y a une différence. Depuis 2001, nous menons un travail commun avec toute l’équipe municipale. Les communistes sont représentés et ont pu marquer de leur empreinte les politiques municipales. On n’aurait pas construit 70 000 logements à Paris s’il n’y avait pas eu les communistes. Il n’y aurait pas eu non plus 10 000 places de crèche supplémentaires. Les socialistes ne pratiquent pas la même politique à Paris qu’au niveau national. Nous ne sommes pas dans la situation des Verts au niveau national, où le PS se conduit de manière sectaire et méprisante à l’égard des autres composantes de la gauche. Ce n’est pas le cas du PS à Paris.
« Être utile » est redevenu un leitmotiv dans le discours des communistes. N’est-ce pas le symptôme d’un parti qui doute de lui ?
Ce qui m’a conduit à adhérer au PCF, c’est précisément l’envie d’être utile. J’ai grandi dans une famille d’extrême gauche et, contrairement à mes parents, j’avais envie d’être dans un parti qui contribue concrètement à changer la vie des gens. Ce qui fait l’identité du Parti communiste, c’est à la fois la radicalité, la révolte et l’envie de changer l’ordre des choses. Le rôle des élus communistes s’inscrit dans cette ambition-là.
Quelles leçons tirer des tensions que vient de traverser le Front de gauche pour améliorer son fonctionnement ?
J’ai une certitude : le Front de gauche doit aujourd’hui s’élargir et sortir à l’avenir du tête-à-tête entre le PCF et le PG. Nous avons connu cette situation de blocage à Paris parce que le Front de gauche reste trop une affaire d’appareils politiques et ne permet pas suffisamment l’irruption de citoyens, de militants syndicalistes et associatifs. Si nous avions davantage ouvert les portes du Front de gauche, nous n’en serions peut-être pas là.
**Les citoyens pourraient être invités à donner leur avis sur les stratégies électorales ? **
Il faudrait créer des cadres qui permettent aux citoyens de se mêler de ces enjeux. Dans la préparation de cette campagne municipale, le PCF a lancé des débats publics mais les composantes du Front de gauche n’ont pas été ensemble à l’initiative d’un vrai débat citoyen sur les enjeux municipaux.