Quelles traces de la Marche ?

Malgré sa force symbolique, la Marche pour l’égalité n’a pas su s’inscrire dans le paysage politique. Aujourd’hui, les militants rêvent toujours de « convergence ».

Erwan Manac'h  • 17 octobre 2013 abonné·es

La Marche pour l’égalité et contre le racisme, qui a sillonné la France de Marseille à Paris du 15 octobre au 3 décembre 1983, fut l’acte de naissance d’un mouvement antiraciste inédit. « C’est un tournant du point de vue de l’image, un moment médiatique qui met en scène une France multiraciale  », analyse l’historien Yvan Gastaut, à la tribune d’une conférence organisée par le journal Presse et cité en mai dernier. Son évocation trente ans après n’est pourtant pas de nature à réconforter les marcheurs d’hier et les militants d’aujourd’hui. Car l’électrochoc provoqué par la Marche coïncide alors avec la progression du Front national, passé de 0,1 % des votes aux législatives de 1981 à 11 % aux européennes de 1984.

Films

● - La Marche , de Nabil Ben Yadir, avec Jamel Debbouze, Charlotte Le Bon, Hafsia Herzi. En salle le 27 novembre. ● - Les Marches de la liberté , de Rokhaya Diallo et Laurence Lascary. Ce documentaire plonge dans la mémoire des marches pour les droits civiques de 1963 aux États-Unis et pour l’égalité en 1983 en France. Projections le 17 octobre à Vaulx-en-Velin, le 24 novembre à Cergy, le 25 à Lille et le 29 à Paris.

Webdocumentaires-

● - Une marche, deux générations , d’Ouafia Kheniche, donne la parole à cinq marcheurs et à leurs enfants sur leurs souvenirs de la marche et l’actualité de ses revendications. Sur www.franceinfo.fr. ● - 30 ans de marche , en ligne le 3 décembre sur www.lemonde.fr. Un trio de jeunes journalistes a refait le parcours de la marche à la rencontre des habitants des quartiers.

Manifestation

● -La caravane de la mémoire d’ACLefeu parcourra la France avec des photos, des livres, des films et des débats sur la mémoire des luttes citoyennes des quartiers.

Livres

● - La marche pour l’égalité , entretiens entre Adil Jazouli, sociologue et ancien marcheur, et Toumi Djaïdja, initiateur de la Marche. Sortie le 31 octobre aux éditions de l’Aube. ● - La Marche pour l’égalité et contre le racisme , Abdellali Hajjat, Amsterdam, 264 p., 14 euros. L’histoire la plus complète de cette aventure. ● - Rengainez, on arrive ! , Mogniss H. Abdallah, Libertalia, 192 p., 12 euros. ● - 1983-2013, la longue marche pour l’égalité , de Nadia Hathroubi-Safsaf, Les points sur les i. Par la rédactrice en chef du Courrier de l’Atlas .

Sur Internet

● marcheegalite.wordpress.com

Désuni, le mouvement n’a pas su s’inscrire dans le paysage politique dans les années qui ont suivi la marche. La faute, estiment certains, à SOS Racisme, créé par Harlem Désir et Julien Dray en 1984. « L’échec de la marche est lié à la reprise en main des mouvements autonomes par les organisations », estime ainsi la militante Rokhaya Diallo, cofondatrice en 2007 des Indivisibles. Au lendemain de la marche, les « lascars » militent pour la justice et contre les violences policières à l’écart des réseaux « centre-villistes ». Après chaque nouvelle victime, ils créent partout en France des comités pour « la vérité et la justice ». Mais, à la fin des années 1980, « on assiste à l’épuisement de l’énergie militante et fédératrice des “années beur” et au repli sur l’action locale », écrit Mogniss H. Abdallah dans sa chronique du mouvement, Rengainez, on arrive ! *Depuis, les tentatives d’unifier** la mobilisation des quartiers n’ont jamais cessé, avec le Mouvement immigrations et banlieue (MIB), à partir de 1995, ou avec les militants du Forum social des quartiers populaires depuis les révoltes urbaines de novembre 2005 (dont la composante la plus connue reste l’association de Clichy-sous-Bois ACLefeu), devenu Force citoyenne populaire en 2012. Ce réseau de militants autonomes est parvenu à tisser sa toile à l’échelle nationale, même s’il reste inaudible sur les grandes ondes. Avec le flot de commémorations qui s’ouvre en ce 30e anniversaire de la Marche pour l’égalité et contre le racisme, beaucoup redoutent d’être une nouvelle fois « dépossédés » de leurs luttes.  *« Je crains qu’on nous fossilise », ajoute le sociologue Adil Jazouli, qui appelle à mettre en avant « ceux qui marchent encore ». « Nous ne pouvons pas rester dans le mode commémoratif », estime aussi Abdellali Hajjat, sociologue à Paris-X-Nanterre. Le 14 octobre, l’initiateur de la Marche, Toumi Djaïdja, a refusé de rencontrer le ministre de la Ville, François Lamy, en déplacement à Vénissieux pour commémorer l’événement. « Si certains cherchent à capter l’héritage de la Marche, cela ne peut se faire à moindres frais », explique-t-il notamment dans une lettre ouverte, en réclamant « des décisions politiques courageuses » pour les millions de Français victimes de « la guerre sociale ».