Un mois de grève de la faim à PSA-Poissy : « On est nourris par la rage »
Sept salariés de PSA-Poissy dénoncent la dégradation de leurs conditions de travail et le non-respect de leur activité syndicale.
Les tentes sont alignées devant le pôle tertiaire de PSA-Peugeot Citroën à Poissy. Quelques banderoles, une boîte en carton cabossée sur laquelle on peut lire « caisse de grève ». Entre le campement et le bâtiment, des salariés costume-cravate s’autorisent une pause cigarette derrière deux agents de sécurité qui nous demandent : « Vous travaillez pour qui ? »
Un peu en retrait, des militants discutent avec Ahmed Oubakhti, secrétaire SUD pour PSA-Poissy. Le regard cerné, barbe poivre et sel, il donne un aperçu physique de la situation après presque un mois de grève de la faim : « On tient le coup avec de la vitamine B1. On prenait trois cachets par jours, mais ça fait un moment qu’on est passé à six. Plus quelques fruits secs, mais pas beaucoup : l’assimilation des lipides représente un gros effort pour le corps, d’après les médecins. »
Inquiétudes médicales
Depuis le 18 septembre, les sept grévistes sont suivis au quotidien par 14 médecins de la Ligue des droits de l’homme. Ces derniers, organisés en collectif, ont publié un communiqué le 7 octobre pour faire part de leur inquiétude : « Nous risquons d’avoir très vite des problèmes médicaux plus sérieux qu’un simple amaigrissement. »
Ahmed Oubakhti détaille :
« Il y a des hémorragies internes, des crises cardiaques, beaucoup de choses. Moi j’ai perdu 17 kilos. »
Il nous montre la photographie d’un homme aux joues rebondies. « C’est moi, avant la grève. »
Les revendications des sept syndicalistes de SUD n’ont pourtant rien d’extravagant : des rythmes de travail décents et le respect de leurs droits syndicaux.
Depuis la fermeture du site PSA d’Aulnay-sous-Bois, la direction a demandé aux salariés de Poissy de compenser la disparition du site en redoublant l’effort. Les mêmes effectifs, les mêmes salaires pour ce que le secrétaire SUD qualifie de « cadence infernale » : « On a beaucoup, beaucoup d’arrêts de travail, beaucoup de maladies professionnelles, de dépressions… » Un constat déjà émis à plusieurs reprises par l’inspection du travail, en vain.
« Mise au placard »
Face à l’attentisme des autres syndicats, la vingtaine de salariés encartés SUD tente alors d’enrayer la machine, sans grand succès. « La direction nous a mis au placard, nous a retiré les moyens de travailler, ne nous donne pas de poste de travail » , enrage Ahmed Oubakhti en nous montrant une photographie de son bureau, une pièce nue aux allures de débarras qu’il est tenu d’occuper toute la journée. L’expression « mise au placard » a rarement sonné aussi juste.
Malgré une représentativité réelle au sein de l’entreprise, SUD fait l’objet d’un traitement inédit de la part de la direction. Les syndicalistes sont obligés de s’équiper à leurs propres frais, malgré une loi selon laquelle cette responsabilité incombe à l’entreprise. Surtout, les ressources humaines n’hésitent pas à dissuader les salariés de s’adresser au syndicat. « Les caméras sont là, elles sont partout » , explique Ahmed Oubakhti. « Quand quelqu’un vient nous voir, il est aussitôt convoqué. Il est soit réprimandé, ou bien… « Tu veux quoi ? Tu veux une petite augmentation ? On s’en occupe tout de suite mais tu ne vas pas les voir. » » Pour couronner le tout, sa boîte mail professionnelle a été tout bonnement désactivée. Isolement garanti.
En mai dernier, la direction de PSA a été condamnée à verser 77 000 euros de dommages et intérêts au secrétaire SUD de Poissy de l’époque pour harcèlement moral et discrimination syndicale. Une décision de justice qui n’a pas mis fin aux pratiques douteuses des ressources humaines.
Le groupe PSA, un gros annonceur
Mais ce qui étonne le plus Ahmed Oubakhti, c’est le silence médiatique qui entoure la grève de la faim depuis le premier jour.
Silence du gouvernement, silence des syndicats… Les grévistes ne peuvent compter que sur le soutien d’associations comme la Ligue des droits de l’homme ou Attac. Côté politique, le Parti de gauche et le Nouveau Parti anticapitaliste sont également au rendez-vous. Laurence Sauvage, secrétaire nationale aux luttes sociales du PG, présente sur place, affirme qu’elle n’a jamais vu ça : « On ne peut pas laisser sept mecs crever sur le trottoir comme ça sans réagir, sans même organiser une table ronde avec les salariés… »
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