Universités : L’autonomie à quel prix ?

Une quinzaine d’universités françaises annoncent un déficit pour 2013. Après la loi Pécresse de 2007, la loi Fioraso n’a rien arrangé.

Ingrid Merckx  et  Pauline Graulle  • 17 octobre 2013 abonné·es

Les universitaires l’appellent « LRU 2 ». Car la loi Fioraso sur les universités du 23 juillet n’a fait qu’aggraver, selon eux, la situation amorcée par la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités de Valérie Pécresse (2007). L’État ayant délégué aux universités la gestion de leurs activités et de leur masse salariale, plus d’une quinzaine seront encore dans le rouge en 2013, dont certaines pour la deuxième année consécutive. « Déficit programmé », plaident-elles. « Mauvaise gestion », riposte le gouvernement. Le 22 juillet, l’Unef, syndicat étudiant, dénonçait « trente-six universités hors-la-loi » pratiquant des frais d’inscriptions illégaux et des sélections en licence. D’autres multiplient les recours aux fonds privés. C’est la loi de la débrouille. Ou le bras de fer, comme à Montpellier-III, où la présidente menace de fermer son antenne de Béziers, privant 700 étudiants d’une fac dans leur ville. En 2012, quatorze présidents d’université avaient réclamé « moins d’autonomie », demandant au gouvernement de récupérer la gestion de la masse salariale, qui représente 80 % des dépenses. Les inégalités entre les universités et entre les filières s’accroissent : les dotations varient d’une moyenne de 1 642 euros par étudiant et par an à Montpellier à 20 000 euros à Bordeaux. Le ministère de l’Enseignement supérieur recommande de miser sur les licences plutôt que sur les masters. Des enveloppes exceptionnelles ont été débloquées, mais elles serviront pour payer les frais courants, comme le chauffage. « On n’observe pas encore de réduction réelle de l’offre de formation, souligne Marc Neveu, du Snes-up, car les profs font autant avec moins. L’inquiétant, ce n’est pas tant les déficits annoncés que ce que sont obligées de faire les universités… » Combien de mutualisation de groupes ? De postes gelés ? D’options amputées ? De TD à 200 plutôt qu’à 50 ? Le budget de fonctionnement des universités aurait baissé de 7,2 %, estime le Snes-up, qui réclame un fonds d’urgence et un changement radical de politique. « On évalue à un milliard le budget nécessaire pour maintenir le taux d’encadrement. C’est justement le ressaut 2013 du crédit impôt recherche, lequel ne profite qu’aux entreprises », déplore Marc Neveu. L’Unef comptabilise environ 9000 bacheliers sans place en première année en 2013. Le syndicat estime également à 23 400 le nombre d’étudiants qui renoncent à une formation universitaire.

Montpellier, le bras de fer

« Avec 1 642 euros par an et par étudiant en 2011, 1,6 m2 par étudiant et 8 amphithéâtres pour 20 000 étudiants, l’université Paul-Valéry-Montpellier-III est la plus mal dotée de France », rappelle sa présidente, Anne Fraïsse, dans une lettre à Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur, datée du 7 octobre. Depuis qu’elle a menacé de fermer son antenne de Béziers, Anne Fraïsse est devenue la figure de proue du mouvement de lutte des universités. Cette fermeture concerne 62 % de boursiers. « Ils devront se loger à Montpellier, se salarier ou abandonner leurs études, résume Mathieu Landau, président de l’Unef. Les assemblées générales sur place réunissent plus de 800 étudiants, c’est beaucoup ! » L’Unef ne prend pourtant pas position : « Si nous condamnons le sous-financement de Montpellier-III, nous sommes opposés à cette menace de fermeture qui prend les étudiants en otages. En outre, la présidente a misé sur des masters d’élite ouverts à 7 ou 8 étudiants, alors que des regroupements permettraient de ne pas appauvrir les premières années et les licences. » Opposée à la concurrence via les masters, l’Unef soutient le recadrage national des diplômes prévu par l’un des décrets de la loi Fioraso, à paraître en décembre. Mais les déficits cumulés à Montpellier-III atteignent 3 millions d’euros. Une somme que la rationalisation des masters ne pourrait pas combler.

Le Mans, motion d’urgence

Le texte date du 3 octobre : « Le conseil d’administration de l’université du Maine, réuni ce jour pour délibérer sur la campagne d’emploi 2014, dénonce l’insuffisance des moyens dont disposent les universités pour l’accomplissement de leurs missions de service public. » Gel de postes vacants et d’une grande partie des 1 000 emplois créés en 2013, non-reconduction d’emplois contractuels, baisse des heures complémentaires, mutualisation des cours et fermeture d’options, augmentation du nombre d’étudiants en TD au-delà du raisonnable… La liste s’allonge des mesures prises pour maintenir l’offre d’enseignement. Rachid El Guerjouma, président de l’université du Maine, préfère reporter des travaux de maintenance et mutualiser les moyens d’impression dans cette université qui accueille 11 000 étudiants. Ce qui plombe son budget de 89 millions d’euros : le GVT (glissement vieillesse technicité), soit l’augmentation des salaires due à l’avancement et à l’ancienneté. Il atteint 500 000 euros. Par ailleurs, l’université du Maine accueille 37 % d’étudiants boursiers, pour lesquels l’État ne verse aucune compensation. Coût estimé : 650 000 euros. « Additionnez les deux et vous obtenez presque le déficit 2012 : 1,3 million », souligne son président, qui redoute la même opération en 2013. Selon Rachid El Guerjouma, les universités sont en déficit depuis qu’elles sont autonomes. Elles ne tournent que grâce à des fonds de roulement qui arrivent à épuisement. « Aujourd’hui, on demande uniquement à l’État de sécuriser les postes. » La motion de son CA a déjà été reprise par plusieurs universités, dont celles du Havre et de Poitiers. Elle pourrait servir de modèle à une motion pour la Conférence des présidents d’université qui se réunit le 17 octobre.

Paris-I privée d’heures

À Paris-I, la rentrée se fait sous le signe du déficit : « Au moment du passage à la Responsabilité et compétences élargie (REC), explique Marie Cottrell, du Snes-up, la fac a fait un effort considérable pour ramener son déficit de 4 à 2 millions d’euros. » Avec, pour toute reconnaissance du ministère, une rallonge de… 300 000 euros. Conséquence des amputations budgétaires sur la rentrée 2013 : on recrute pour « pas cher », comme ces profs de lycée qui enseignent sans faire de recherche. C’est qu’il faut bien payer les salaires, le loyer ou le chauffage ! Quant au contenu des formations, l’objectif de réduction de 10 % des coûts dans chaque UFR n’a été qu’à moitié atteint. Les étudiants auront 15 000 heures de cours en moins cette année : suppression d’une semaine entière de cours en droit et en économie, mais aussi de 16 TD en licence d’histoire, de 644 heures de cours en histoire de l’art ou de TD d’informatique en géographie, faute d’encadrants. Les classes sont surchargées, les étudiants assis par terre ou dans le couloir, à la porte des amphis…

Société Éducation
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