Fiscalité : les cinq mesures qui auraient tout changé
Prévues dans le projet du candidat Hollande, plusieurs dispositions auraient clairement marqué à gauche la politique du gouvernement. Rafraîchissons ici la mémoire du Président.
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Depuis des semaines, médias et commentateurs en tout genre, responsables politiques de droite et parfois de centre gauche ne cessent de dénoncer un « matraquage fiscal » et de mettre en évidence un « ras-le-bol » montant des profondeurs du pays. À y regarder de près, il y a beaucoup d’idéologie et de manipulations dans cette campagne, souvent orchestrée par des lobbies solidement implantés dans les classes dominantes. Mais il y a aussi une vraie colère, des classes moyennes et populaires. La question de l’impôt sert parfois d’exutoire à une déception diffuse qui résulte d’une politique bien éloignée des promesses de la campagne présidentielle. La convergence de tous les « ras-le-bol » est largement provoquée par un système fiscal complexe, illisible et injuste. Les multiples reculades de l’exécutif depuis mai 2012 devant les groupes de pression n’ont rien arrangé. Des « pigeons » aux opposants à l’écotaxe ou taxe « poids lourds », du lobbying bancaire contre la taxation sur les transactions financières au maintien de niches fiscales profitant aux plus riches, le gouvernement a donné beaucoup de signes d’encouragement à tous ceux qui veulent en découdre. Pourtant, François Hollande avait dans son programme des mesures qui auraient dû corriger les injustices et remédier à l’illisibilité du système. Cinq d’entre elles figuraient dans ses 60 propositions – ou provenaient des conseils de l’économiste Thomas Piketty, qui, depuis, ne décolère pas contre tous ces reculs et une « improvisation fiscale consternante [^2] ». Il s’agit du prélèvement de l’impôt à la source, de la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG, de la suppression d’un grand nombre de niches, de la taxation des transactions financières et, enfin, de la lutte contre le dumping fiscal au niveau de l’Union européenne. Comme on le verra, la première de ces propositions est controversée. Il ne s’agit donc pas pour nous de prendre position dans un débat complexe, mais de rafraîchir la mémoire du président de la République.
Mesure n° 1
Prélever l’impôt à la source pour tous les revenus
Cette proposition figure dans le projet exposé dans l’ouvrage Pour une révolution fiscale par Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez [^3], couplée avec une réforme de l’impôt sur le revenu (après fusion avec la CSG), qui serait désormais payé par tous les Français et prélevé directement sur les revenus du travail et du capital (voir mesure n° 2). Une telle disposition aurait l’immense avantage d’éviter au maximum contournements et fraudes, garantissant une véritable égalité devant l’impôt. Prélevé à la source (comme c’est le cas pour les cotisations sociales retenues sur le salaire brut), l’impôt serait, pour les salariés, collecté par les entreprises, qui le reverseraient à l’État. Ce système est en usage en Belgique ou en Italie. Toutefois, les syndicats du ministère des Finances émettent des réserves. En effet, il nécessiterait un suivi individualisé de chaque contribuable. En cas de changement de situation familiale ou professionnelle, le montant des prélèvements devrait être modifié – nécessitant sans doute l’embauche d’un grand nombre d’agents pour faire face aux demandes des contribuables. Vincent Drezet, secrétaire général de Solidaires-Finances publiques, rappelle son opposition, en l’état actuel du système, à cette proposition : « Nous sommes contre, car nous sommes d’abord attachés à la collecte de l’impôt par la puissance publique. Surtout, dans le système actuel, appuyé sur le quotient familial et où l’impôt est calculé sur une année, ce serait beaucoup trop complexe pour adapter le calcul de l’impôt aux changements de situation. Bien sûr, cette mesure – et sur ce point les auteurs du projet Pour une révolution fiscale sont cohérents – serait efficace et bien plus simple si la réforme de l’impôt sur le revenu proposée dans ce projet était mise en œuvre. »
Mesure n° 2
Fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG, et imposer les revenus du capital comme ceux du travail
Proposition phare de la « révolution fiscale » qu’appellent de leurs vœux Camille Landais, Thomas Piketty et Emmanuel Saez, elle figurait au numéro 14 des 60 engagements de François Hollande, en tant que principale mesure – « à terme » – de la « grande réforme fiscale » promise, qui aurait « favorisé la justice sociale [avec] une plus forte progressivité de l’impôt sur le revenu ». C’est sans aucun doute le recul le plus flagrant de l’exécutif actuel – et la mesure qui aurait été le signe d’un engagement fort à gauche en matière de justice fiscale et sociale. Elle aurait eu surtout l’avantage de supprimer la différence entre l’impôt sur le revenu classique (qui ne rapporte que 60 milliards d’euros) et la CSG, qui est vraiment proportionnelle, concerne aussi les revenus du capital, et rapporte plus de 90 milliards. En outre, rapprocher dans un premier temps les deux assiettes, avant une éventuelle fusion, aurait simplifié le système en le rendant bien plus juste, en supprimant de fait un grand nombre de niches et en élargissant l’assiette de l’impôt aux revenus du capital.
Mesure n° 3
Réduire le plus grand nombre de niches fiscales
Les « niches fiscales » sont de nature diverse. Il faut distinguer celles à caractère social (comme les réductions d’impôts accordées aux dons aux œuvres ou les abattements concernant la scolarité des enfants) des avantages liés aux investissements dans l’immobilier (comme dans les départements d’outre-mer) ou des largesses pour les particuliers employeurs, et surtout du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) pour les entreprises, d’un coût de 10 milliards d’euros. En 2014, l’impact budgétaire de ces niches devrait atteindre plus de 80 milliards. Vincent Drezet note « qu’une bonne partie de la complexité du système et de son injustice provient de ces niches ou, plus largement, de ce qu’on appelle les régimes dérogatoires ». Cette proposition d’en réduire le nombre figurait, là encore, dans le projet de François Hollande. « Il s’agit en fait de les différencier en fonction des objectifs de la politique fiscale », poursuit Vincent Drezet. « Or, on nous parle depuis des années de gestion rigoureuse des deniers publics, et on n’a jamais vraiment évalué le rapport coût/efficacité de l’ensemble des niches fiscales. Il faut une revue de celles-ci et ne conserver que celles qui ont des objectifs sociaux, notamment en matière d’épargne populaire. » En termes de politique économique, il faudrait en finir avec ces dispositifs de défiscalisation et privilégier plutôt, pour soutenir certains secteurs d’activité, les subventions, que la puissance publique contrôlera mieux. Enfin, les niches ne concernent pas seulement l’impôt sur le revenu mais aussi l’impôt sur les sociétés – dont le rendement est à peu près égal au coût des régimes dérogatoires à cet impôt ! Or, ceux-ci bénéficient essentiellement aux grands groupes, ce qui explique qu’ils aient un taux réel d’imposition bien inférieur à celui des PME. Là encore, qu’attend le gouvernement ?
Mesure n° 4
Taxer les transactions financières
On sait combien la taxe dite « Tobin » sur les transactions financières a été la grande revendication, durant deux décennies, d’abord d’Attac et du mouvement altermondialiste, puis de la gauche en général. Comme le souligne Dominique Plihon (voir p. 20), après de longues années où la Commission de Bruxelles y était opposée, elle a fini par adopter une directive en ce sens. Et la France faisait partie des pays volontaires pour la mettre en œuvre. Si cette mesure n’apparaît pas dans le programme de François Hollande, on aurait pu penser qu’il s’engagerait enfin en ce sens pour récupérer une ressource non négligeable en taxant les sommes gigantesques de la spéculation financière. Difficilement compréhensible, ce recul, véritable cadeau aux puissances de l’argent et de la rente, trahit l’idéologie néolibérale qui imprègne l’exécutif.
Mesure n° 5
Lutter contre le dumping fiscal au sein de l’Union européenne
C’est sans doute le sujet où une grande partie de l’électorat de gauche souhaitait que François Hollande engage d’emblée un rapport de force au sein des institutions européennes. Ou, du moins, tente de réformer le système, notamment en s’attaquant aux pratiques de certains pays membres de l’Union européenne qui ont tout du paradis fiscal, comme la Belgique et le Luxembourg. Et en luttant contre « l’optimisation fiscale », doux euphémisme pour désigner un contournement de la loi, spécialité des grandes entreprises.
[^2]: Cf. Libération , 30 décembre 2012.
[^3]: Paru au Seuil, coll. « La République des idées », 2011.