La victoire des bonnets verts
Réunis en région, les écologistes ont départagé samedi dernier les motions en lice pour le congrès de Caen. En Bretagne, la principale liste d’opposition à la majorité sortante arrive largement en tête.
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Pas d’annonces publiques, aucune invitation à la presse [^2] : à Morlaix, Europe écologie-Les Verts-Bretagne avait organisé de facto un huis clos afin de sécuriser l’assemblée régionale chargée de choisir, samedi 16 novembre, entre les sept motions en présence pour le congrès du parti [^3]. Dans le sillage des manifestations de « bonnets rouges », des centaines de routiers étaient mobilisés sur les routes de la région. L’agitation sociale bretonne était sur toutes les lèvres. « Nous redoutions des perturbations », explique Michèle Le Tallec, secrétaire régionale. La Bretagne cultive sa singularité, et les écologistes n’y font pas exception : les groupes locaux ont massivement désavoué la motion présentée par la majorité sortante, Pour un cap écologiste. Bien qu’arrivée en tête au niveau national (38 %), elle n’a recueilli à Morlaix que 9,2 % des voix. L’eurodéputée Nicole Kiil-Larsen, rennaise, s’apprête à envoyer « au national » un texto clin d’œil signalant « la victoire des bonnets verts » en Bretagne. Mais pas à Cécile Duflot, « elle va mal le prendre ». Nicole Kiil-Larsen a rejoint la motion Déterminé-e-s, dissidente de celle que soutient la ministre, et dont la tête de liste nationale n’est autre que Michèle Le Tallec. « J’ai eu droit un matin à un coup de fil agacé de la part de Cécile, qui n’a pas apprécié notre démarche… » Les écologistes bretons ont plébiscité, avec 45,4 % des voix, La Motion participative, principale liste d’opposition regroupant une partie de l’aile gauche du parti et des environnementalistes, devant Déterminé-e-s (16,3 %) [^4]. Des bonnets verts bretons braqués contre les dysfonctionnements de « Paris », où la direction semble avoir perdu le fil du parti.
À la tribune, si l’on s’interpelle sans psychodrame, les critiques fusent pour exposer la récrimination commune aux motions d’opposition : le défaut de démocratie interne. « Pendant trois ans, les débats ont été confisqués par la majorité, nos règles n’ont pas été respectées, l’exécutif n’a mis en œuvre qu’une partie du programme décidé par le parlement du parti », s’élève Dominique Guizien, l’un des porteurs de la motion Via ecologica, qui regroupe notamment des proches de Dany Cohn-Bendit. « Assez de l’hégémonie de la majorité, des fausses cartes de membre dans certaines régions, du poids exacerbé des parlementaires EELV – majoritairement issus de la majorité, au détriment des équilibres internes –, liste Martin Siloret, l’un des porteurs de La Motion participative. À EELV, nous avons une ministre qui passe des coups de fil au secrétariat national pour lui communiquer ses directives. » Ces dérives ont motivé l’émergence de la motion Déterminé-e-s. « Le déséquilibre du pouvoir dans les instances est malsain, il a stérilisé les débats internes et poussé les minoritaires à la radicalisation », déplore Michèle Le Tallec. Il ne s’agit pas de cliver le parti, prévient Lars Kiil-Nielsen, mandataire de la motion Déterminé-e-s, « mais, depuis le congrès de 2010 à La Rochelle, la majorité a parfois glissé vers l’autoritarisme. Et l’on entend de plus en plus souvent les grandes gueules du parti s’exprimer sans concertation. »
Visé : François de Rugy, coprésident du groupe EELV à l’Assemblée nationale, qui s’était exprimé lors du débat sur les retraites en faveur d’un allongement de la durée des cotisations, à rebours de la position du parti. Enfin, comme pour faciliter la tâche de l’opposition à Pour un cap écologiste, Michel Balbot, qui représente cette motion, convient que le parti « a échoué dans son projet d’ouverture à d’autres adhérents ». À Morlaix, la correction subie par la majorité et le large succès de l’opposition s’expliquent aussi par le comportement hégémonique du Parti socialiste à l’endroit des écologistes locaux. « Il n’y a qu’en Bretagne que le PS nous ait refusé un accord de second tour aux élections régionales de 2010, relève Guy Hascoët, ex-secrétaire d’État à l’économie solidaire du gouvernement Jospin. Nous sommes parfois traités en vassaux. » « Notre culture d’autonomie s’en est trouvée renforcée, et la ligne pro-gouvernementale de la direction du parti a d’autant moins les faveurs des militants ici », analyse Laurent Hamon, responsable du groupe EELV de Rennes et signataire de La Motion participative.
Loi sur les retraites, recul sur la fiscalité écologique, affaire Leonarda, déclarations de Manuel Valls sur les Roms… Ce pôle d’opposition a franchi un pas important dans la contestation de la stratégie du parti en se prononçant de manière à peine déguisée pour une sortie du gouvernement par le biais d’un appel aux parlementaires écologistes à ne pas voter le budget 2014 – ce qui aurait pour conséquence immédiate le départ des deux ministres EELV. Par la voix de Jean-Michel Tilloy, la motion Là où vit l’écologie (notamment soutenue par Eva Joly) se dit aussi « pour une sortie du gouvernement », et la petite motion environnementaliste Avenir écolo réclame un référendum d’initiative militante sur la question. La victoire des bonnets verts bretons renvoie finalement l’image d’un parti déboussolé et affaibli, même si la secrétaire régionale se félicitait à Morlaix d’un taux de participation plus élevé qu’attendu. Au-delà des revendications sur la démocratie interne, toutes les motions appellent peu ou prou à une forme de refondation : une ouverture du parti pour Via ecologica et Là où vit l’écologie ( « Nous ne sommes pas assez proches des forces sociales », regrette Jean-Michel Tilloy) ; un recrutement militant, pour Michel Balbot ( « Notre parti meurt de son manque d’adhérents ! » ) ; ou encore « revenir aux fondamentaux écologistes qu’exprimait René Dumont dans les années 1970 », selon Jocelyne Leboulicaut (Avenir écolo), voire une « constituante interne » pour réinventer le parti, avance Catherine Regard (Objectif Terre). Au bout du compte, constate Dominique Guizien (Via ecologica), « nos différences se manifestent surtout par nos options pour rénover le parti, parce que sur le fond et les objectifs, nous restons d’accord ».
Il ne convaincra pas Frédéric Fauré , porte-parole du groupe de Morlaix, exprimant le désarroi qu’il croit percevoir chez nombre de militants « qui n’ont pas la parole avant les débats et dont la majorité, comme moi, ne sont signataires d’aucune motion. Sont-elles suffisamment lisibles pour déterminer une stratégie pour le mouvement ? Comment voulez-vous que les gens renouvellent leur adhésion ? Pour ma part, je n’en ai pas l’intention ». Guy Hascoët reconnaît que la période « d’extrême fragilisation qui caractérise l’époque » menace aussi EELV. « Or, les affaires du parti ne s’arrangeraient pas avec un émiettement de nos forces. » Un péril qui guette les écologistes à Caen le 30 novembre, alors que la désignation de leurs instances pour les trois prochaines années s’annonce pleine d’incertitudes. Comme pour conjurer le risque, au moins localement, EELV-Bretagne a voté à l’unanimité un appel à manifester avec les syndicats le 23 novembre dans les villes de la région, pour dénoncer le médiocre « pacte d’avenir pour la Bretagne » du gouvernement et tenter de couper l’herbe sous le pied des « bonnets rouges » qui défileront à Carhaix une semaine plus tard.
[^2]: Politis était le seul média présent.
[^3]: Après l’étape des votes régionaux, le congrès désignera ses instances en plénière nationale le 30 novembre à Caen.
[^4]: Viennent ensuite « Via Ecologica » (11,7 %), « Pour un cap écologiste » (9,2 %), « Là où vit l’écologie » (8,7 %), « Avenir écolo » (3,6 %) et « Objectif Terre » (1 %).