Mali : Victimes collatérales

L’assassinat des deux journalistes de RFI a pour toile de fond le chaos qui règne dans le nord-est du pays. Héritage des conflits en Algérie et en Libye, et d’un abandon des populations touareg par Bamako.

Denis Sieffert  • 7 novembre 2013 abonné·es

Qui a assassiné Ghislaine Dupont et Claude Verlon, les deux journalistes de RFI, le 2 novembre à Kidal ? L’enquête le dira peut-être. Les hypothèses ne manquent pas. À commencer par la possible vengeance d’un sous-groupe d’Al-Qaïda pour le Maghreb islamique (Aqmi), mécontent de n’avoir pas touché sa part de rançon après la libération des quatre otages français d’Arlit, quatre jours auparavant. Mais c’est la toile de fond économico-politique de ce drame qui mérite ici réflexion, au-delà bien sûr de la tristesse que nous inspire la mort de deux journalistes qui représentaient ce que notre profession a de meilleur [^2]. Cette opération de commando, menée en plein jour et au centre de Kidal, témoigne du chaos qui règne sur le nord-est du Mali. Certes, l’opération Serval, en janvier dernier, a barré la route de Bamako aux islamistes d’Aqmi. Et elle a, indirectement, ramené dans le champ politique une partie des Touaregs du Mouvement national de libération d’Azawagh (MNLA), un temps associés à Aqmi. C’est l’un des dirigeants de ce mouvement que Ghislaine Dupont et Claude Verlon venaient d’interviewer lorsqu’ils ont été kidnappés. Et c’est le MNLA qui postule tant bien que mal au rôle de gendarme dans cette ville du nord-est du Mali sur laquelle le régime de Bamako n’a guère de prise. Mais, à ce jeu, le principal mouvement touareg se brûle les ailes. Il implose sous la pression d’un débat interne qui oppose les partisans de la légalité, et d’un compromis avec les troupes françaises, à un courant irrédentiste qui n’a pas renoncé à la revendication historique d’indépendance de l’Azawagh, cette région vaste comme les 4/5es de la France.

La situation du Nord-Mali apparaît comme la résultante de toutes les crises régionales : la guerre civile algérienne des années 1990, la répression à la même époque de la révolte touareg et, plus récemment, la révolution libyenne. Mais c’est avant tout la non-résolution de la question touareg qui fait de cette région le carrefour de tous les conflits, et un terrain de prédilection des islamistes d’Aqmi. Sans remonter à la période coloniale, qui a déstructuré l’organisation traditionnelle des Touaregs, il faut au moins rappeler que depuis l’indépendance du Mali, en 1960, ce grand peuple nomade du Nord a été ignoré et souvent exclu du champ politique et économique par le pouvoir malien. Dans cette situation d’abandon, il a été soumis aux influences des groupes issus des conflits en Algérie et en Libye. Des groupes en son sein ont été en proie à des dérives mafieuses et à des trafics en tout genre. Pour eux, la prise d’otages est devenue l’une des activités lucratives. On peut y répondre par la guerre, mais sans aucune chance de parvenir à une solution durable. La « stratégie pour le Sahel » inaugurée en 2011 par l’Union européenne est plus prometteuse parce qu’elle associe à la fois objectifs de développement économique et intégration politique. L’Union européenne a annoncé lundi son intention de renforcer son aide au développement au Sahel en consacrant cinq milliards d’euros entre 2014 et 2020.

Le Mali, considéré comme « le pays le plus fragile de la région », comme l’a déclaré Andris Piebalgs, le commissaire européen au Développement, recevra 615 millions d’euros d’ici à 2020. Peu de chose en vérité, d’autant plus qu’on ne sait pas ce que l’État malien en fera. Et si, une fois de plus, le nord du pays, à majorité touareg, ne sera pas oublié. L’autre élément d’intégration est politique. Des candidats touareg se présenteront aux législatives du 24 novembre. Mais dans quelles conditions aura lieu le scrutin ? Surtout dans le nord, où le mouvement touareg peut espérer recueillir le plus de voix. Cette échéance ne sera toutefois qu’une étape dans la longue reconstruction de l’État malien. Si bien que dans cette situation la France est piégée. Elle n’a d’autre possibilité que de renforcer sa présence dans le nord du Mali, au moment même où elle devait amorcer un début de désengagement. Un désengagement très relatif de toute façon puisqu’il n’est pas question pour Paris de se désintéresser de la région. Il s’agit moins en l’occurrence du Mali que du Niger tout proche, si riche en uranium exploité par le consortium nucléaire Areva. Mais comme le prouve l’affaire des otages enlevés sur le site d’Arlit, la présence militaire française au nord du Mali fait partie de la sécurisation des intérêts français trop bien sentis. En somme, Ghislaine Dupont et Claude Verlon sont les victimes collatérales de conflits dans lesquels ils n’avaient évidemment aucune part, et qu’ils tentaient de nous faire mieux comprendre.

[^2]: Nous avons rendu hommage à Ghislaine Dupont et Claude Verlon sur notre site Politis.fr. Et nous nous associons pleinement au deuil de nos consœurs et confrères de RFI.

Monde
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