Maud Olivier : « On se prostitue pour des raisons économiques »

Rapporteure du projet de loi, Maud Olivier insiste avant tout sur la défense des droits humains.

Ingrid Merckx  et  Lena Bjurström  • 14 novembre 2013 abonné·es

Députée socialiste de l’Essonne, Maud Olivier est rapporteuse avec Bruno Le Roux de la proposition du projet de loi (PPL) de lutte contre le système prostitutionnel. Leur démarche diffère de la loi de sécurité intérieure, qui a instauré le délit de racolage passif. Leur proposition s’intéresse notamment au statut des prostituées étrangères et aux victimes de la prostitution forcée. Mais, en amalgamant prostitution et traite, elle soulève la colère des « traditionnelles » et des clients. Surtout, elle paraît source des mêmes dérives que la loi précédente, qui a rejeté les prostituées dans la clandestinité. Paradoxe ?

Pourquoi déposer cette proposition de loi maintenant ?

Maud Olivier : Cette PPL suit le travail de Danielle Bousquet et Guy Geoffroy, dans le cadre de leur mission d’information sur la prostitution, ayant conduit à la publication d’un rapport en 2011. Une PPL devait voir le jour, mais elle a été reportée. À la création du ministère du Droit des femmes, Najat Vallaud-Belkacem a relancé le projet. Pourquoi faire évoluer la loi ? La loi actuelle pénalise les prostituées via le délit de racolage passif, instauré par la loi de 2003 sur la sécurité intérieure (LSI). Pour l’heure, les personnes prostituées sont appréhendées comme des délinquantes alors que ce sont des victimes. Abolir le délit de racolage passif permettra de les sortir de la délinquance. Mais il faut aussi poser un interdit : on ne peut pas acheter les services sexuels de quelqu’un, c’est une négation des droits humains. En outre, il ne faut pas que notre pays soit considéré comme une terre d’accueil par les réseaux.

Pénaliser le client, n’est-ce pas pénaliser la prostitution ?

Nous ne sommes pas prohibitionnistes : les prostituées pourront continuer à se prostituer. Celui qui est visé, c’est le client. En Suède, en Finlande, en Norvège et en Islande, la pénalisation n’a pas débouché sur une augmentation des violences. La prostitution se déplace de toute façon sur Internet. Ce phénomène n’est pas seulement lié au délit de racolage passif ou à la pénalisation du client, mais surtout au développement des nouvelles technologies.

Les représentantes d’une prostitution choisie sont très opposées à la pénalisation du client. Comment le comprenez-vous ?

Quand on fait une loi, c’est pour une majorité. La prostitution en France concerne au moins 80 % d’étrangères. Hormis les quelques personnes qui revendiquent une activité « choisie », la prostitution reste majoritairement un parcours de violence. On se prostitue presque toujours pour des raisons économiques. Dans ce cas, que devient le consentement ? A-t-on le droit de disposer du corps d’autrui parce qu’on a de l’argent ? Aux personnes qui défendent la prostitution « choisie », je réponds : soit, mais aimeriez-vous que votre fille, votre femme ou votre sœur se prostituent ?

Quid du volet social de votre proposition de loi ?

Nous défendons la création de commissions départementales, sur le modèle de ce qui se fait dans l’Essonne, par exemple. Elles impliqueraient tous les acteurs locaux : police, justice, élus, associations, institutions… Elles devraient aussi permettre de retisser des réseaux d’accompagnement. L’objectif est de donner droit à un titre de séjour à celles qui s’engagent dans un parcours de sortie de la prostitution, pour six mois, peut-être renouvelables. Elles pourraient aussi bénéficier d’une allocation temporaire d’attente, se faire domicilier et représenter par une association, s’inscrire dans une mission locale pour trouver du travail ou suivre une formation… Tout cela serait encadré par les préfets, qui doivent « apporter aide et secours aux personnes victimes du proxénétisme et de la traite ».

Vous défendez donc pour les prostituées étrangères un statut comparable à celui de demandeur d’asile ?

Absolument.

La loi française n’est-elle pas hypocrite vis-à-vis de la prostitution ?

La prohibition est pire que tout en termes de violences. Le réglementarisme, personne n’en veut. Il faut donc se doter d’un cadre juridique où la personne prostituée est considérée comme victime. Nous devons faire œuvre de pédagogie.

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