Niger : derrière les otages, la manne de l’uranium
La libération des salariés d’Areva intervient alors que le géant du nucléaire remodèle sa stratégie d’approvisionnement du minerai.
dans l’hebdo N° 1276 Acheter ce numéro
Après trois ans de détention dans le désert saharien, le retour en France de Thierry Dole, Marc Féret, Daniel Larribe et Pierre Legrand a rapidement soulevé des interrogations sur les conditions de leur libération. Paris a-t-il, comme l’affirment plusieurs sources, versé 20 à 25 millions d’euros aux terroristes qui ont relâché les quatre salariés d’Areva, enlevés en compagnie de trois autres en septembre 2010 sur le site d’extraction d’uranium de la région d’Arlit, au nord-ouest du Niger ? Alors que l’Élysée martèle la doctrine Hollande – Paris ne paye plus de rançon –, c’est Areva qui aurait pu débourser la somme [^2]. L’entreprise française, numéro un mondial des industriels du nucléaire par l’étendue de ses activités – de l’extraction du minerai d’uranium au recyclage du combustible en passant par la construction de centrales et leur maintenance –, a des intérêts vitaux au Niger, où elle est implantée depuis cinquante ans. Areva y exploite des mines par l’entremise de deux filiales, la Somaïr et la Cominak. Le minerai nigérien représente plus de 35 % de l’uranium traité et vendu annuellement par Areva, une place prépondérante dans son très rentable pôle « mines ». « D’autant plus que les contrats passés avec Niamey assurent à l’industriel des prix très compétitifs », relève Stéphane Lhomme, directeur de l’Observatoire du nucléaire.
Areva est par ailleurs le fournisseur « de référence » d’EDF, couvrant 40 % des besoins annuels des 58 réacteurs du parc français en uranium naturel, désormais intégralement importé depuis la fermeture de la dernière mine nationale en 2001. En dépit des risques [^3], l’uranium nigérien reste plus que jamais indispensable au nucléaire français, et des indices concordants suggèrent que la date de libération des otages, le 29 octobre, n’est pas indépendante du calendrier stratégique d’Areva. En effet, ses contrats arrivent à échéance fin 2013, et le Niger fait monter la pression depuis des mois, affichant un message clair : le pays est insuffisamment rémunéré pour la manne énergétique qu’il fournit à la France. L’uranium, dont il est le 4e producteur mondial, représente plus de 80 % de ses exportations et seulement 5 % des recettes de l’État. En 2012, un demi-siècle après les premières excavations dans le désert, le Niger partageait avec la République démocratique du Congo le dernier rang du classement onusien pour l’indice de développement humain (IDH). Depuis des années, des ONG nigériennes telles que Synergie ou Aghirin’Man dénoncent un « pillage colonialiste » mais aussi les impacts sanitaires et environnementaux des activités d’Areva, soutenues par des organisations françaises (réseau Sortir du nucléaire, Greenpeace, Survie, Sherpa, Médecins du monde, Crid…) (voir encadré). Depuis quelque temps, Niamey soutient même les revendications de cette frange de sa société civile, et le président nigérien Mahamadou Issoufou, qui montre une attention plus affirmée que ses prédécesseurs à l’intérêt national, est directement à la manœuvre. Point de départ des négociations : Niamey entend quadrupler ses revenus tirés de l’uranium, ce qui n’est pas aussi abusif qu’il n’y paraît. « Ces prétentions rappellent celles de 2008 », observe Raphaël Granvaud, membre de l’association Survie et auteur en 2011 d’ Areva en Afrique. Alors qu’une rébellion touareg menaçait la sécurité des mines, le Niger avait obtenu d’Areva le doublement du prix d’achat de son uranium. « Tandis que le cours du minerai flambait lors des transactions au comptant, les contrats à long terme signés avec l’entreprise maintenaient la rémunération du pays à des niveaux très inférieurs. »
« Je l’ai dit aux responsables d’Areva, il faut que les populations locales soient associées positivement à un tel projet », commentait le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, à la signature du contrat d’exploitation de l’uranium en Mongolie. Une réprimande à mots couverts ? Au Niger, Areva essuie depuis des années de sévères critiques sur la contamination des travailleurs et des populations d’Arlit par les poussières d’uranium. « Authentique politique de santé », « conditions de travail très encadrées », « politique environnementale responsable », affiche pourtant Areva. Aghirin’Man et la Coordination des organisations de la société civile d’Arlit lui opposent les mesures de radioactivité de la Criirad depuis 2003, un rapport de Greenpeace (« Abandonnés dans la poussière », 2009), 50 millions de tonnes de résidus radioactifs et le mépris pour les non-Français malades ou décédés sur les sites.
L’industriel a également montré ses muscles, menaçant de suspendre l’activité de la Somaïr au prétexte que le Niger manquerait à certaines de ses obligations. Dans la foulée, il annonce la signature d’un contrat-cadre avec la Mongolie, pour l’exploitation de gisements d’uranium très prometteurs. La dernière carte semble cependant avoir été abattue par Issoufou, dont l’intervention décisive dans la libération des quatre otages français a été saluée de manière appuyée par François Hollande, qui entretient de très bonnes relations avec lui. « Dans ce billard à plusieurs bandes, Areva a été sommé de faire machine arrière pour obtenir la libération des otages », juge Jean-Pierre Minne, qui suit les activités d’extraction d’uranium pour le réseau Sortir du nucléaire. La conclusion prochaine des négociations sur le renouvellement des contrats de l’industriel indiquera la hauteur de la récompense décrochée par le Niger. Entre Areva et Niamey, malgré les hausses de ton et les coups de canif dans le contrat, aucun divorce n’est à l’ordre du jour tant les intérêts réciproques sont importants.
[^2]: Témoignage sur Europe 1 (le 30 octobre) de la fille de Serge Lazarevic, un des otages enlevés au Mali par Aqmi.
[^3]: Le 23 mai, un attentat faisait 14 blessés et un mort sur une mine d’Arlit.
[^4]: Voir observ.nucleaire.free.fr/accueil-proces-areva.htm, site de l’Observatoire du nucléaire, auquel Areva réclame 25 000 euros de dommages pour diffamation.