Retraite : «non à l’allongement de la durée de précarité»

Il suffirait que les députés qui se sont abstenus en première lecture votent contre cette loi pour qu’elle soit rejetée. Tribune.

Frédéric Lemaire  • 14 novembre 2013 abonné·es

Le gouvernement avait prévu un calendrier express pour l’adoption de la réforme des retraites. Avec le rejet du texte au Sénat, il vient de rencontrer un premier revers. L’adoption de la réforme à l’Assemblée, en seconde lecture, les 19 et 20 novembre, pourrait quant à elle se révéler plus compliquée que prévue : il suffirait que les députés qui se sont abstenus en première lecture votent contre cette loi pour qu’elle soit rejetée. Il s’agit là d’une opportunité, pour toutes celles et ceux qui se sont mobilisés dans toute la France contre cette réforme, d’obtenir son retrait et de permettre de jeter les bases d’une vraie réforme de progrès social.

Pourquoi le texte actuel n’est-il pas satisfaisant ? Parce qu’il s’inscrit dans la continuité des réformes précédentes menées par la droite, et qu’il va contribuer à appauvrir davantage les retraités actuels ou à venir. En effet, le texte programme un allongement supplémentaire de la durée de cotisation avec diminution de la pension par année manquante, c’est-à-dire une nouvelle baisse des pensions des futurs retraités, mais aussi le maintien des salariés plus âgés en activité… Et ce, alors que le chômage des jeunes explose. L’augmentation de l’espérance de vie justifierait-elle un tel allongement ? Certainement pas. Bien sûr, on vit plus longtemps, mais pas vraiment en bonne santé. Toute année supplémentaire passée au travail obère donc le temps dont les salariés disposent pour jouir réellement de leur retraite. De plus, dans un contexte de chômage de masse, il est illusoire de penser que les salariés vivant plus longtemps pourront travailler plus longtemps. C’est le contraire qui se passe : les jeunes trouvent un « vrai » emploi plus tard, les seniors ont du mal à trouver un travail décent après 60 ans, et leur taux de chômage augmente. Pour les salariés, la réforme prévoit donc d’allonger la durée de précarité… et de diminuer leurs futures pensions. En particulier pour les femmes aux carrières incomplètes (temps partiel subi, précarité), les chômeurs et précaires, les jeunes (en moyenne, ils décrochent leur premier poste à 23 ans). Les mesures annoncées pour les femmes, comme la prise en compte du temps partiel, ne compenseraient pas les conséquences déjà néfastes de l’allongement de la durée de cotisation. La réduction du temps de travail et la possibilité pour toutes et tous d’avoir une retraite avant d’être usés par le travail, progrès sociaux rendus possibles par le partage des richesses, ont permis l’allongement de l’espérance de vie. Cette réforme promet tout l’inverse. Le coût de celle-ci, selon les chiffres du gouvernement, sera supporté à 73 % par les salariés et les retraités, sans compter que la contribution des entreprises sera intégralement compensée par une baisse des cotisations finançant les allocations familiales, vieille revendication patronale.

Pourtant, la France est riche, mais la richesse n’a jamais été aussi mal répartie. Tandis que les intérêts des plus riches sont sanctuarisés, les politiques d’austérité accroissent les inégalités en faisant payer aux plus pauvres le prix de la crise. Les politiques de compétitivité relancent davantage les profits qu’elles ne relancent l’économie, et n’en finissent pas de plomber les comptes publics, provoquant plus d’austérité… Pour financer les retraites, il faut d’urgence en finir avec cette austérité et les cadeaux fiscaux, et mettre la finance à contribution. Des solutions existent pour équilibrer les comptes des caisses de retraite sans couper dans les pensions versées, à commencer par soumettre à cotisations les revenus financiers et dividendes distribués, ou augmenter les cotisations patronales. Ce qui permettrait de rééquilibrer la part de la masse salariale dans la richesse produite. En effet, ce n’est pas la crise pour tout le monde : en 2012, les 500 Français les plus riches ont vu leur fortune croître de 25 %, et les dividendes atteignent aujourd’hui leur plus haut niveau historique.

À plus long terme, des politiques monétaire et budgétaire alternatives, tournées vers les besoins de la société, pourraient financer des plans publics d’investissement social et écologique pour relancer l’emploi, avec réduction du temps de travail et augmentation des revenus… Il est temps de rompre avec la spirale de l’austérité, des régressions et des inégalités sociales. Les alternatives existent ! Le rejet de cette réforme des retraites inique serait un premier pas dans ce sens. C’est pourquoi nous interpellons les députés, et en particulier ceux qui se sont abstenus, pour qu’ils votent clairement contre ce texte : en refusant de prendre leurs responsabilités, ils cautionneraient une réforme qui s’inscrit clairement dans la continuité des précédentes menées par la droite.

Économie Travail
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