Urgence pour l’Hôtel-Dieu
Les urgences de l’établissement parisien ont été remplacées par des consultations sans rendez-vous. Un comité de soutien se mobilise pour que perdure un service d’accueil de proximité.
dans l’hebdo N° 1279 Acheter ce numéro
L’endroit est clair, calme, vide. Deux personnes patientent dans la salle d’attente, deux professionnels orientent les arrivants. Une grande partie des urgences de cet hôpital historique, situé entre la Seine et Notre-Dame, ont fermé le 4 novembre. Les pompiers ne viennent plus. Les équipes ont été transférées. Celles qui restent font le pied de grue. « Les chambres ont été fermées à clé », s’indigne Gérald Kierzek. Il est 10 heures, cet urgentiste de 38 ans est de garde depuis la veille au soir mais il nous accueille rasé de près et remonté à bloc. C’est lui l’opposant numéro 1 au projet de reconstruction défendu par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP) sur la base du « rapport de préfiguration de l’hôpital universitaire de santé publique ». Ce texte, paru en mars 2013, résulte des travaux des professeurs Lombrail et Fagon, ce dernier étant le chef pressenti du « nouvel Hôtel-Dieu ».
Gérald Kierzek a été démis de ses fonctions de chef de service. Peu lui importe : il se définit comme un « lanceur d’alerte ». Il ne se bat pas pour son poste : il est fonctionnaire, on manque d’urgentistes partout, et le privé lui tend les bras. Mais il a le service public chevillé au corps. Ce qu’il défend, c’est une certaine vision des urgences, générales et de proximité, contre « l’hôpital du XXIe siècle » promu par Jean-Yves Fagon. Un hôpital « avec des lits » contre un « hôpital debout ». Le projet défendu par le comité de soutien de l’Hôtel-Dieu propose de la chirurgie en ambulatoire avec de la gériatrie et de la périnatalité, mais associées à des urgences qui ne séparent pas a priori les « cas graves » des « cas pas graves ». « Affirmer que trois quarts des patients viennent pour rien, c’est prôner l’autodiagnostic. » Dans son bureau, Gérald Kierzek libère une chaise entre un casque de moto fluo et un téléphone portable assorti. Puis il griffonne des schémas à mesure qu’il énumère ses arguments, rompu à la démonstration. « Nul besoin de communiquer quand on dit la vérité. »
Pour défendre le projet de restructuration de l’Hôtel-Dieu, Mireille Faugère, ancienne directrice de l’AP-HP, s’était appuyée sur une étude selon laquelle 80 % des patients des urgences n’en relèvent pas. Tandis que le comité de soutien estime, lui, sur la base d’une autre étude, que seulement 10 % relèvent de la médecine générale. Orientés par les infirmiers d’accueil, ils n’encombreraient pas les services. « Le principal problème des urgences, c’est le manque de lits ! », insiste Gérald Kierzek. Les urgences consacreraient jusqu’à 30 % de leur temps à chercher des lits. « On sait pourtant que la surmortalité dans ces services est directement liée à l’attente. » L’Hôtel-Dieu, ça n’était pas que les urgences générales, mais aussi les urgences médico-judiciaires (UMJ), la salle Cusco (l’hôpital-prison qui a accueilli le « tireur » de Libération )et des services de radiologie, d’ophtalmologie et d’hospitalisation. L’UMJ et la salle Cusco devraient rester dans le nouvel Hôtel-Dieu, mais les urgences générales ont été remplacées par un service de consultation sans rendez-vous, 24 h/24. Selon Jean-Yves Fagon, il accueillerait déjà 65 à 70 patients par jour. « Soit les patients que recevaient les anciennes urgences, moins les urgences des pompiers, qui répartissent donc leur quinzaine de patients dans les autres hôpitaux, expose-t-il. *Ça ne produit pas de saturation. »
« Les consultations sans rendez-vous ne fonctionnent pas comme des urgences. Les patients ne viennent pas, les généralistes libéraux ne veulent pas venir, et on attend les professeurs de médecine générale », proteste Gérald Kierzek. Le logiciel Cyber-urgences sous les yeux, il avertit : « 130 % de sursaturation à la Pitié ce matin. Il doit y avoir au moins 8 malades dans les couloirs, alors que nous avons des lits vides dans des locaux refaits à neuf ! Fermer les urgences de l’Hôtel-Dieu, c’est surcharger les autres. » Après l’Hôtel-Dieu viendra le tour de Bichat et de Beaujon, l’objectif étant de diviser Paris en quatre grands pôles hospitaliers. « Faut-il craindre qu’ils se partagent les 2 000 patients accueillis en urgences par jour ? Soit 500 chacun ? » Autre crainte : que les urgences de l’Hôtel-Dieu, qui recevaient quotidiennement 130 patients en moyenne, fassent jurisprudence. La Commission médicale d’établissement (CME) devrait rendre son avis le 10 décembre. La décision du nouveau directeur général de l’AP-HP, Martin Hirsch, est attendue dans les prochains jours : c’est le conflit sur l’Hôtel-Dieu qui l’a conduit à ce poste.