« 2 automnes 3 hivers », de Sébastien Betbeder : « Un film fabriqué hors système »
L’audace formelle, l’humour et la résistance à l’air du temps caractérisent 2 automnes 3 hivers, de Sébastien Betbeder.
dans l’hebdo N° 1282-1284 Acheter ce numéro
Comme la plupart des cinéastes quelques semaines avant la sortie d’un film, Sébastien Betbeder s’est rendu à des avant-premières dans toute la France pour présenter son troisième long métrage, 2 automnes 3 hivers. Il revenait, ce matin-là, d’une présentation la veille au cinéma Le Star Saint-Exupéry à Strasbourg ; c’est donc à côté de la gare de l’Est que cet entretien a eu lieu.
Comment s’est passée la rencontre à Strasbourg ?
Sébastien Betbeder : Très bien, le débat a été long. Ce qui est particulier avec ce film, c’est que les spectateurs parlent du film en parlant d’eux. C’est assez touchant de voir comment ils se livrent. J’apprends beaucoup de la réception par les spectateurs. 2 automnes 3 hivers était, sur le papier, un projet formel et narratif presque expérimental, qui m’a plongé dans des abîmes de doute sur la façon dont il serait reçu. Maintenant, je suis rassuré sur ce qu’on peut demander aux spectateurs : ils ont conscience de l’originalité de la narration, mais ils s’en accommodent très bien. En fait, pour eux, le film est simple. Cela m’encourage à continuer dans cette voie.
Vos deux premiers longs métrages relèvent du genre fantastique ; 2 automnes 3 hivers en garde aussi des traces. Comment expliquez-vous cette inclination ?
Ma culture du cinéma vient de là, tout simplement. J’ai commencé à me dire que je ferais du cinéma en voyant des films fantastiques, en particulier E. T. Je me souviens l’avoir vu en salle et en avoir été enchanté. C’est resté en moi : le cinéma comme art du merveilleux. À chaque fois que je commence un projet, même s’il n’est pas directement fantastique, j’ai ce goût pour le dérèglement du réel. Cela va de pair avec ma façon d’écrire des scénarios, où j’ai besoin d’être étonné au fur et à mesure que les séquences se succèdent.
Il y a une citation de la Nuit des morts-vivants dans 2 automnes 3 hivers, mais elle agit comme métaphore : les personnages ne veulent surtout pas devenir des adultes qui ne rêvent plus, dénués de romanesque, bref, des morts-vivants…
Ce sont des personnages qui vivent dans un contexte politique et social clairement désenchanté et qui refusent en effet de se transformer en zombies. Ils le font par l’humour, par l’autodérision. Ils ont même cette capacité de désamorcer les mauvais tours que la vie leur réserve. Le film se termine par une chanson de Bertrand Betsch qui dit : « Nous sommes toujours debout et nous tenons le coup. »
Vous ne montrez pas de quoi vivent vos personnages, leur travail…
C’est un parti pris. De la même manière qu’il n’y a aucune scène se déroulant en été. Une des ellipses multiples du film concerne la question de savoir quel est le quotidien des personnages. Arman dit qu’il enchaîne les petits boulots, dont on devine qu’ils ne sont pas forcément passionnants. On sait qu’Amélie travaille dans une galerie, mais elle dit au début que ce n’est pas ce qu’elle veut faire dans la vie. Les moments de leur existence que je raconte ont à voir avec des sujets beaucoup plus importants pour eux que le simple quotidien. Par exemple, ils accordent une place prépondérante à l’art et à la culture, qui influent sur leur manière d’être et leurs représentations du monde. Deux des personnages ont fait les Beaux-Arts. C’est un choix politique que j’ai fait moi aussi après le bac. Ils ont eu une ambition artistique, mais très peu de personnes ont la chance de la mener à bien et de pouvoir en vivre. Il y a donc un échec de leur côté. Mais, pour autant, ils n’ont pas renoncé à cette place de la culture dans leur existence.
Un choix politique, dites-vous ?
Oui, parce que c’est un choix sans aucune garantie sociale. Si j’ai fait personnellement ce choix, c’est pour pouvoir agir par l’art. Et accéder à une position sociale dont je serais, d’une certaine manière, le seul maître.
Mais, dans le champ artistique lui-même, il y a des rapports de force, des positions minoritaires et majoritaires qui s’affrontent. C’est un milieu très violent…
En effet. Précisément, 2 automnes 3 hivers a été élaboré en totale opposition au système dominant. Je sortais d’une période difficile où, pendant trois ans, j’ai dû réécrire un scénario pour répondre aux exigences des commissions de financement ou des chaînes de télévision. Il fallait entrer dans un carcan, adopter des codes cinématographiques qui, à mes yeux, frôlent l’académisme. Au fur et à mesure, le scénario a fini par ne plus me correspondre. Je l’ai abandonné. Pour 2 automnes 3 hivers, j’ai décidé, avec mon producteur, de ne pas aller frapper à ces portes-là. On a financé le film avec très peu d’argent. Mais avec une liberté absolue. Je suis fier de cela.
L’argent manquait aussi, bien sûr, pour payer vos comédiens et vos techniciens…
Sans l’équipe technique et sans les comédiens, sans leur acceptation de travailler dans des conditions très précaires, le film n’aurait pu se faire. C’est grâce à eux que le film existe. J’ai la chance d’avoir autour de moi une équipe qui me suit, qui a accepté d’être payée comme sur un court métrage, bien que le tournage ait duré vingt jours, ce qui est assez peu, par ailleurs, pour un long.
La difficulté ensuite n’est-elle pas de trouver un distributeur, c’est-à-dire la possibilité d’être en salles et de toucher les spectateurs ?
Nous avions un objectif : être présents au Festival de Cannes. C’était le seul moyen de sortir la tête de l’eau. Et le lieu idéal, pour un tel film fabriqué hors système, nous semblait être la programmation de l’Acid (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) à Cannes. Ça a été le cas. Et, grâce à l’Acid, nous avons trouvé un distributeur.
À peu près au même moment, d’autres jeunes cinéastes ont monté leur film de la même manière que vous ( la Bataille de Solferino de Justine Triet, la Fille du 14 juillet d’Antonin Peretjatko…). Qu’en pensez-vous ?
Ces films se sont faits dans la marge par nécessité. Artistiquement, ils sont très différents. Le seul point commun entre nous – mais il est essentiel –, c’est que nous avons fait un film coûte que coûte, avec un semblable esprit de rébellion.