Faut-il (vraiment) baisser la dépense publique ?
Rien ne dit que la dépense privée soit toujours la plus efficace.
dans l’hebdo N° 1281 Acheter ce numéro
Le Figaro a lancé une nouvelle campagne contre la dépense publique, le droit du travail et la protection sociale, en s’appuyant sur un sondage indiquant que la majorité des Français acclameraient les « réformes structurelles » nécessaires pour restaurer la compétitivité. L’air du temps n’est certes pas progressiste, mais parions que, si l’on avait demandé aux mêmes personnes si elles souhaitaient assumer de façon privée leurs dépenses de santé et d’éducation, nul doute que la réponse eût été plus réservée.
Les éditorialistes martèlent que la baisse de la dépense publique est le préalable à la baisse des impôts. Ce débat est éminemment idéologique. La part des dépenses publiques dans le PIB représente un choix de société. Elle est restée stable durant trente ans, indiquant la prévalence de l’État social dont les conservateurs font le procès. Elle est composée pour moitié des dépenses de l’État et pour moitié des dépenses sociales. Les dépenses de l’État représentent 27 % du PIB. Elles ont baissé de 2 points en trente ans. Les dépenses sociales représentent 29 % du PIB. Elles ont augmenté de deux points durant la même période, à cause de l’accroissement des dépenses consacrées à l’assurance maladie obligatoire et aux retraites par répartition. On peut certes vouloir les réduire, ce qui conduirait à privatiser une partie de la protection sociale en introduisant des réseaux de soins privés ou un système de retraite par capitalisation. Rien ne dit que cela se fasse au bénéfice de la santé et du pouvoir d’achat des salariés. Aux États-Unis, où le système de santé est en grande partie privé, la consommation médicale est anarchique et l’état sanitaire de la population parfois précaire, alors que la part des dépenses de santé dans le PIB est de 15 %, soit 5 points de plus qu’en France ! Notre système de santé est loin d’être le plus inefficace et le plus inflationniste…
Le french-bashing a continué de plus belle dans la presse de droite, qui, s’appuyant sur des études de l’OCDE, dénonce l’inefficacité de notre système éducatif. Certes, Bourdieu lui-même disait de l’école qu’elle est une machine de reproduction sociale et une fabrique d’inégalités. Pour autant, nos enseignants sont-ils responsables du chômage et des inégalités, qui découlent avant tout des choix néolibéraux opérés ces trente dernières années ? Surfant sur un « ras-le-bol fiscal » résultant aussi de l’absence de réforme fiscale d’ampleur attendue en début de mandat, ladite campagne de presse ne fait que ressasser un refrain entonné il y a trente-quatre ans par Margaret Thatcher : « L’État est le problème et le marché la solution. » Or, rien ne dit que la dépense privée soit toujours plus efficace que la dépense publique. Par ailleurs, les variations de la dépense publique sont elles-mêmes susceptibles de provoquer des effets macroéconomiques positifs ou récessifs. Ce qu’illustre le principe du multiplicateur budgétaire, dont le FMI indique que la valeur reste sous-estimée à l’issue de la période écoulée. Cela pourrait signifier que la baisse des dépenses d’aujourd’hui ne sera peut-être pas la croissance de demain et les baisses d’impôts d’après-demain.
Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.