La crise sanitaire, l’autre crise écologique

La pollution et le développement ont entraîné une pandémie ignorée, affirme le toxicologue André Cicolella.

Patrick Piro  • 19 décembre 2013 abonné·es

Le paludisme ? Le sida ? Non, ce ne sont pas les maladies infectieuses qui tuent le plus dans le monde. Les deux tiers des décès sont dus aux pathologies chroniques, qui s’installent dans la durée, handicapent et évoluent lentement. Cancers, affections respiratoires, maladies cardiovasculaires, diabètes… Le nombre de cas explose – en France, quatre à cinq fois plus vite que la démographie. C’est l’un des principaux défis du siècle, soulignait l’Assemblée générale de l’ONU en 2011. Les institutions affirment depuis longtemps tenir les coupables : nos modes de vie, plombés par le tabagisme, le manque d’activité physique, l’abus alcool et la mauvaise alimentation. Bref, la faute au comportement des individus. Problème : cela n’explique rien dans un grand nombre de cas, réplique André Cicolella. Pourquoi tant de jeunes touchés ? D’où viennent la forte chute de la fertilité masculine, les formes nouvelles de perturbation du système endocrinien, la généralisation des maladies respiratoires et allergiques, le développement des pathologies mentales ?

Explication de l’auteur : les thèses officielles occultent les facteurs environnementaux – cause de deux cancers sur trois, avancent certaines études. Particules fines émises par le diesel, dizaines de milliers de molécules chimiques disséminées dans l’air, l’eau, les sols… La pollution est au premier rang. Mais il y a aussi la nourriture ultra-transformée, les atteintes du milieu urbain, l’exposition dans le monde du travail, les inégalités sociales, le dérèglement climatique, etc. L’infatigable André Cicolella, lanceur d’alerte depuis vingt ans et président du Réseau environnement santé (RES), ne s’arrête pas au constat – tardif – de l’ONU. Sa thèse, au cœur de cet ouvrage : la cause profonde de l’explosion des maladies chroniques réside dans les errements du modèle de développement de nos sociétés. Nous vivons une crise sanitaire globale aussi révélatrice que les crises écologique, alimentaire ou économique. L’os est touché, ce qui expliquerait le déni généralisé. Des autorités impuissantes devant l’effondrement de systèmes de santé surendettés et inadaptés à la pandémie en cours. Des élites sanitaires accrochées au modèle des maladies infectieuses, inopérant face à des mécanismes qui apparaissent centraux dans de nombreuses maladies chroniques : faibles expositions sur le long terme, relation complexe entre les doses reçues et les effets, exposition simultanée à de multiples facteurs…  Pour l’auteur, le chantier nécessite une révolution de santé publique. Et il regrette à demi-mot qu’elle ne soit pas identifiée comme une composante majeure du projet de la transition écologique de ses amis d’EELV. Toxique planète, une question politique secondaire ?

Idées
Temps de lecture : 2 minutes

Pour aller plus loin…

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »
Entretien 20 novembre 2024 abonné·es

Philippe Martinez : « La gauche porte une lourde responsabilité dans la progression du RN »

Pour Politis, l’ancien secrétaire général de la CGT revient sur le climat social actuel, critique sévèrement le pouvoir en place et exhorte les organisations syndicales à mieux s’adapter aux réalités du monde du travail.
Par Pierre Jacquemain
Thiaroye, un massacre colonial
Histoire 20 novembre 2024 abonné·es

Thiaroye, un massacre colonial

Quatre-vingt ans après le massacre par l’armée française de plusieurs centaines de tirailleurs africains près de Dakar, l’historienne Armelle Mabon a retracé la dynamique et les circonstances de ce crime odieux. Et le long combat mené pour briser un déni d’État aberrant.
Par Olivier Doubre
L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes
Intersections 19 novembre 2024

L’intersectionnalité en prise avec la convergence des luttes

La comédienne Juliette Smadja, s’interroge sur la manière dont les combats intersectionnels sont construits et s’ils permettent une plus grande visibilité des personnes concernées.
Par Juliette Smadja
États-Unis, ramène la joie !
Intersections 13 novembre 2024

États-Unis, ramène la joie !

La philosophe, professeure à l’université Paris VIII et à la New-York University, revient sur les élections aux Etats-Unis et examine l’itinéraire de la joie dans un contexte réactionnaire : après avoir fui le camp démocrate, c’est désormais une émotion partagée par des millions d’électeurs républicains.
Par Nadia Yala Kisukidi