Parutions de la semaine
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Les Prédateurs du béton
Enquête sur la multinationale Vinci
Nicolas de la Casinière, Libertalia, 105 p., 8 euros.
Créée en 2000, la multinationale est vite devenue championne du CAC 40 et un des leaders mondiaux du BTP. Impossible de rouler sur une autoroute sans verser un péage à Vinci, qui détient aussi des parkings payants dans le monde entier et est le grand gagnant du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Voies ferrées, industrie nucléaire, réseaux d’eaux constituent également les marchés de la multinationale. Pour les partenariats public-privé et les grands chantiers, Vinci a constitué avec quelques autres majors une oligarchie très restreinte, surpuissante, imposant son ordre au monde économique et aux collectivités. Vinci incarne le capitalisme moderne, avec un discours de façade vert, une rhétorique bien rodée sur l’humain au cœur de l’entreprise. Ce qui n’empêche pas des pratiques de prédateur.
« Eichmann était d’une bêtise révoltante »
Entretiens et lettres
Hannah Arendt et Joachim Fest, traduction de l’allemand et de l’anglais (américain), annotations et postface de Sylvie Courtine-Denamy, Fayard, coll. « Ouvertures », 240 p., 20 euros.
Qui a vu le récent film de Margarete Von Trotta trouvera dans cet ouvrage un passionnant complément aux débats qu’il retrace à propos de la couverture du procès Eichmann par Hannah Arendt pour The New Yorker en 1961, à l’origine de son livre sur « la banalité du mal ». Des débats si violents que certains déconseillèrent la publication de l’ouvrage – largement réécrit en allemand par la philosophe elle-même – en Allemagne, qui advint pourtant en 1964 (deux ans avant la France). L’historien et essayiste allemand Joachim Fest avait réalisé à cette occasion un entretien à la radio bavaroise avec Hannah Arendt (où celle-ci précise sa position). De leur rencontre est né un échange épistolaire, reproduit dans cet ouvrage, augmenté d’autres écrits autour de cette controverse.
Atlas des crises et des conflits
Pascal Boniface et Hubert Védrine, Armand Colin/Fayard, 144 p., 22,50 euros.
Cette version 2014 d’Atlas des crises et des conflits s’inscrit sans une tradition désormais bien établie. La principale vertu de l’ouvrage est sa clarté et sa simplicité. Il y a bien sûr les analyses de Pascal Boniface et d’Hubert Védrine, mais il y a aussi une riche cartographie qui met en évidence les réalités économiques, ethniques ou religieuses d’un pays ou d’une région. Tenez, au hasard, prenez le Mali… En un coup d’œil, le lecteur verra les zones d’influence des différentes ethnies, des groupes politiques, et leur représentation, les mouvements de l’opération Serval, mais aussi les enjeux économiques régionaux, comme les sites miniers et gaziers des pays voisins du Mali.
Pourquoi l’égalité est meilleure pour tous
Richard Wilkinson et Kate Pickett, préface de Pascal Canfin, Les Petits matins, 503 p., 20 euros.
Plus les riches sont riches, plus la société dans son ensemble est prospère… Cette thèse centrale du néolibéralisme est mise en pièces dans ce livre qui a connu un succès inattendu lorsqu’il a été publié au Royaume-Uni en 2009, puis traduit dans 23 pays. Son intérêt vient du fait que deux professeurs d’épidémiologie ont rassemblé le produit de décennies de recherches et de statistiques réalisées par plusieurs équipes pour montrer que les sociétés égalitaires sont les plus sûres, celles dont l’état de santé est le meilleur, celles où, par exemple, la mobilité sociale est aussi la plus forte. Ce livre fournit des « éléments probants » qui réhabilitent l’objectif de réduction des inégalités comme un objectif structurant des sociétés.
Apostrophes
Bernard Pivot, coffret de 6 DVD (12 émissions, 14 h 50 au total), éd. Montparnasse/INA/France Télévisions, 40 euros.
On sait combien, au fil de quinze années (1975-1990), le fameux « rendez-vous littéraire du vendredi soir » et son animateur, Bernard Pivot, furent parfois durement critiqués. Quand on les revoit aujourd’hui, outre la grande tenue des débats, c’est d’abord leur rythme qui surprend, ô combien agréablement. Inimaginable de nos jours : quatre ou cinq auteurs pendant plus d’une heure et quart, vingt minutes chacun, sans applaudissements idiots. Et quels auteurs !… Outre la célèbre émission sur les « nouveaux philosophes » ou Bigeard face à Brassens, on écoutera Lévy-Strauss et Tom Wolfe, Michel Tournier et Nina Berberova, George Steiner, Claude Hagège et Raymond Devos, Pierre Bourdieu face à Pierre Perret, Paul Pavlovitch, Umberto Eco, etc. On se pince à penser « c’était le bon temps »…
Gilgamesh
La quête de l’immortalité
Version de Stephen Mitchell, traduit de l’anglais par Aurélien Clause, Synchronique, 246 p., 19 euros.
Précédant la Bible et les chants homériques d’environ un millier d’années, Gilgamesh est certainement le texte littéraire le plus ancien de l’histoire de l’humanité. Conte épique en sumérien retrouvé dans l’actuel Irak sur des tablettes d’argile datant du troisième millénaire avant Jésus-Christ, restitué en vers par l’Anglo-Saxon Stephen Mitchell, il est ici traduit avec brio de l’anglais – en alexandrins – par Aurélien Cause et se lit comme un roman.
Au cœur des mythes fondateurs de la pensée occidentale, avec notamment un premier récit du Déluge, l’œuvre offre une surprise de taille pour notre époque puisque Gilgamesh a les plus douces attentions pour son compagnon Endoku… Le premier héros de l’histoire fut donc sans doute gay.