Front de gauche : construire une alternative

Le Front de gauche met en sourdine ses querelles pour se tourner vers les socialistes et les écologistes déboussolés.

Michel Soudais  • 23 janvier 2014 abonné·es

Mettre un mouchoir sur ses désaccords et relancer une dynamique. L’état d’esprit qui prévaut à la tête du Front de gauche en ce début d’année doit beaucoup au tour libéral que François Hollande vient de donner à sa politique. Après avoir longtemps réclamé un changement de cap du gouvernement, Pierre Laurent estime que « l’heure n’est plus à attendre ce qui ne viendra pas ». Une analyse partagée par l’ensemble des composantes du Front de gauche, acquises à l’idée que l’ outing présidentiel confère à leur alliance « une responsabilité nouvelle », où l’enjeu n’est rien de moins que de « sauver la gauche ». Ce sentiment n’est pas étranger à la volonté du Parti communiste (PCF) et du Parti de gauche (PG) de mettre un mouchoir sur leurs désaccords à propos des municipales. Après plusieurs mois d’échanges aigres-doux dans la presse, la rencontre au sommet entre les deux formations fondatrices du Front de gauche, le 17 janvier, a permis un « dialogue franc et constructif », suivant le mot de Pierre Laurent. Sur l’utilisation du logo Front de gauche dans la campagne municipale, le PG, qui refuse qu’il soit associé au PS, a proposé un compromis que le PCF s’est engagé à examiner. Ce dernier a assuré à son partenaire que l’autonomie serait sa ligne aux régionales et aux cantonales de 2015… «  La crise n’est pas surmontée, mais elle est surmontable », résume Éric Coquerel, secrétaire national du PG. Signe de leur volonté commune de « repartir au travail », Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent ont participé le lendemain, ensemble, à une manifestation à Marseille contre l’austérité.

François Hollande maintient l’objectif d’un vaste chantier de refonte du financement de la protection sociale, avec l’annonce de la suppression des cotisations patronales affectées à la branche famille.

Cette branche pèse près de 31 milliards d’euros de prestations. Certes, c’est peu par rapport à l’ensemble de la protection sociale, qui a redistribué près de 33 % de la richesse nationale, soit 672,9 milliards d’euros, en 2011.

Mais cela va dans le sens du mouvement de suppression progressive de la cotisation des employeurs pour financer les branches famille, chômage, vieillesse et santé de la protection sociale. Ce qui provoque un transfert de celle-ci vers la fiscalité des ménages, avec, notamment, une augmentation de la TVA.

Depuis de nombreuses années, l’État finance en partie les exonérations de cotisations employeurs, pour plus de 30 milliards d’euros, sans compter le crédit d’impôt sur la compétitivité et l’emploi (CICE), qui, à lui seul, représente 20 milliards d’euros, destinés à étendre les exonérations de cotisations patronales sur les salaires n’excédant pas 2,5 Smic.

L’apaisement des tensions internes est accueilli avec soulagement par les autres composantes du Front de gauche. « Si nous sommes rassemblés et davantage tournés vers la société, nous serons à la hauteur pour répondre à l’enjeu historique qui est le nôtre », veut croire Clémentine Autain, l’une des porte-parole d’Ensemble. Pour le PG, qui a réuni ce week-end son bureau national, il s’agit désormais de « construire une opposition de gauche ». L’expression, refusée par tous en septembre 2012, quand le Front de gauche manifestait contre le traité budgétaire européen, a surgi dans le discours prononcé par Jean-Luc Mélenchon à l’arrivée de la manifestation pour une révolution fiscale, le 1er décembre. Le PCF est encore réticent : il ne souhaite pas, prévient Marie-Pierre Vieu, « se confiner à une petite gauche » à laquelle renverrait un peu trop la formule mélenchonienne, mais cherche « une formule qui montre que la gauche c’est nous, et que nous réfléchissons à l’échelle de toute la gauche en donnant à notre courant une vocation majoritaire » .

« La condamnation violente du gouvernement ne suffit pas, il faut apparaître comme une alternative », estime Clémentine Autain, qui appelle le Front de gauche à « innover » dans ses propositions, « inventer des formes nouvelles » et « tendre la main aux écologistes et socialistes déboussolés ». Le PG les appelle à « rompre les rangs » et est disposé à faire des listes avec tous ceux qui sont prêts à s’opposer à la politique de Hollande. « Y compris à accepter qu’ils soient têtes de liste », souligne François Delapierre, qui note que c’est déjà le cas dans plusieurs villes avec les écologistes. L’invitation n’est pas nouvelle. Elle avait déjà été lancée après le renoncement de Hollande à renégocier le TSCG. Mais en 2013, il n’y a « pas eu beaucoup de répondant », déplore Éric Coquerel. La perspective politique ouverte par Hollande d’un gouvernement d’union des libéraux pourrait cette fois changer la donne. Le Front de gauche entend s’y préparer.

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