Jusqu’où ira la droite réac ?
Le réveil d’une société civile attachée aux « valeurs » perturbe le champ politique mais n’a qu’une influence réduite. Pour l’instant.
dans l’hebdo N° 1288 Acheter ce numéro
Un président qui condamne publiquement les « exhibitions » de femmes dans les églises [^2], des députés qui s’élèvent contre l’IVG… Non, vous n’êtes pas dans les années 1960, mais dans la France de 2014, qui, visiblement, n’a pas tout à fait abandonné ses vieux réflexes patriarcaux et conservateurs.
Depuis quelques semaines, une odeur de naphtaline flotte sur la classe politique française. Presque un an après les manifestations contre le mariage pour tous, les mêmes sont ressortis du bois à l’occasion du projet de loi sur l’égalité femmes-hommes, visant à conforter le droit à l’IVG. Sans surprise, l’extrême droite s’est fait entendre sur les « avortements de confort » (Marion Maréchal-Le Pen) et les « fœtus déchiquetés » (Jacques Bompard). Plus inquiétant, dix-huit députés UMP et centristes ont proposé un texte pour dérembourser l’IVG. Fers de lance de ces parlementaires, le « boutiniste » Jean-Frédéric Poisson, pour qui « l’avortement est un mal profond », et le très catholique député-maire UDI de Neuilly, Jean-Christophe Fromantin. Même la droite gaulliste semble avoir été contaminée par la petite musique des « ultras » : comme pour renchérir sur son rival Jean-François Copé, d’une prudence de Sioux sur la question de l’IVG, François Fillon a ainsi vu « une faute morale et politique » dans la volonté du gouvernement de « banaliser » (sic) l’avortement. Les questions sociétales, nouvel axe de recomposition de la droite française ? Thomas Guénolé, politologue spécialiste de la droite, n’y croit guère : « La “droite morale” ne pèse que 5 % des électeurs, et 10 % des électeurs de droite, rappelle-t-il. Reprendre ses thèmes assure une rente minoritaire permettant de peser dans le parti – c’est pourquoi Christine Boutin a été membre du gouvernement Fillon –, mais pas de rassembler très large. » Ce qui expliquerait l’abstention de Nathalie Kosciusko-Morizet sur le mariage pour tous ou les atermoiements opportunistes de Jean-François Copé, défilant d’abord fièrement au côté des anti-mariage gay les plus virulents pour se contenter ensuite de demander l’union civile – la présidente de la Manif pour tous l’accusera de « reniement ».
Autre signe que l’homophobie ne ferait pas tant recette que cela, l’étrange mutisme de Marine Le Pen sur le mariage homosexuel. « En réalité, il y a un décalage entre la visibilité des mouvements réactionnaires et la réalité électorale, analyse Thomas Guénolé. L’extrême droite traditionnaliste ou les Bonnets rouges se sont beaucoup améliorés en marketing et font une “agit-prop” qui plaît aux médias, toujours à l’affût d’une transgression qui fait vendre. Mais ce n’est qu’un effet d’optique. » Reste que la Manif pour tous et ses avatars ont remis dans le débat public la question des valeurs. Une question qui, dans un contexte où PS et UMP peinent à se démarquer sur le versant économique, pourrait faire apparaître de vraies lignes de fracture politiques. Pas un hasard, donc, si, l’été dernier, Jean-Christophe Fromantin, vice-président de l’UDI, a sommé Jean-Louis Borloo de se positionner sur les « valeurs fondatrices » du parti. Ou si l’on a vu émerger, à droite, la figure d’Hervé Mariton, qui ambitionne de devenir le nouveau Philippe de Villiers, voire plus… À gauche, on fait bloc pour l’instant. Mais les reculades du gouvernement sur la PMA (et bientôt la fin de vie ?) pourraient mettre le feu aux poudres entre les plus et les moins progressistes.
Autre phénomène : l’émergence de ces « cathos décomplexés » qui se lancent dans la politique, souligne Gaël Brustier, auteur de La guerre culturelle aura bien lieu (Mille et une nuits, 2013) : « Ils sont présents sur des listes électorales dans les petites villes et peuvent s’implanter sur certains territoires, là où la base UMP conteste les élites du parti. » Et le chercheur en sciences politiques d’envisager, d’ici quinze à vingt ans, « une mutation complète du champ politique due à une concurrence politique autour d’un électorat “décliniste” ». Et une Sarah Palin en chef de file de la droite ?
[^2]: Voir la chronique de Christophe Kantcheff dans le n° 1287 de Politis .