Le pacte Élysée-Medef
Consternants aux yeux des économistes que nous avons interrogés, les vœux
de François Hollande pour 2014 marquent un nouveau glissement vers une ligne de droite assumée.
dans l’hebdo N° 1285 Acheter ce numéro
Àla première écoute, les vœux de François Hollande, le 31 décembre, n’avaient rien de fracassant. Protocole un brin désuet, rhétorique endormante, la cérémonie n’a suscité que peu de réactions sur le moment. L’attention s’est toutefois réveillée à la lecture d’un communiqué de satisfaction du Medef, publié au matin du 1er janvier. Qu’avait donc dit le président de la République pour justifier cette communication inhabituelle de l’organisation patronale ? Certes, François Hollande a réaffirmé qu’il n’avait « qu’une priorité, qu’un objectif, qu’un engagement : l’emploi ! ». Mais derrière l’apparente continuité de ses propos, le chef de l’État, qui s’engageait un an auparavant à tout mettre en œuvre pour inverser la courbe du chômage avant ce 31 décembre 2013, a surtout paru s’en remettre aux entreprises. Notamment quand il leur propose un « pacte de responsabilité » fondé, a-t-il expliqué, « sur un principe simple : moins de charges sur le travail, moins de contraintes sur leurs activités et, en contrepartie, plus d’embauches et plus de dialogue social » .
C’est ce « pacte » qui a séduit le Medef. Son président, Pierre Gattaz, rappelle dans son communiqué, et dans un entretien au Monde (5 janvier), avoir porté à l’Élysée, mi-novembre, « un pacte de confiance, signé par plus de 80 fédérations professionnelles et 120 Medef territoriaux » promettant la création d’un million d’emplois en échange de l’ouverture de « cinq chantiers : sur le coût du travail, la fiscalité, la baisse des dépenses publiques, la simplification et les freins à l’embauche ». Et ce « contenu est très proche » de celui du pacte de responsabilité, assure Pierre Gattaz, très sensible à d’autres annonces du discours présidentiel, présentées par François Hollande comme des « décisions fortes » qui guideront la politique du gouvernement. En premier lieu, « réduire la dépense publique » selon « un programme d’économies » qui, a assuré le Président, vaut pour « tout le quinquennat ». « Nous pouvons faire mieux en dépensant moins », estime le chef de l’État, qui précise que « cela vaut pour l’État […], pour les collectivités locales […] et pour la Sécurité sociale » qui « doit en terminer avec les excès et les abus ». L’objectif de cette réduction des dépenses ? « Réduire notre déficit, mais aussi pouvoir à terme baisser les impôts », dont le Président estime qu’ils « sont devenus lourds, trop lourds ». « C’est là le sens de la réforme fiscale […] engagée », a-t-il expliqué. Seconde décision : la simplification des démarches administratives, tant « pour les actes de la vie quotidienne » que « pour la création d’entreprises et le développement de l’investissement ». Devant ses orientations, les économistes sont pour le moins sceptiques. L’efficacité de ce type de pacte « ne s’est pas vérifiée par le passé, donc pourquoi ça marcherait aujourd’hui ? », s’interroge Agnès Michel, responsable de la commission économie et social d’Europe Écologie-Les Verts. Certains ont encore en mémoire le « deal » proposé au début des années 1980 par Yvon Gattaz, alors président du Conseil national du patronat français (CNPF), l’ancêtre du Medef : en échange de l’instauration « d’emplois nouveaux à contraintes allégées », le père de Pierre Gattaz promettait (déjà) la création de 471 000 emplois. En 1986, Jacques Chirac, Premier ministre, lui a donné entière satisfaction. Personne n’a jamais pu prouver que les emplois promis ont été créés.
Plus récemment, le crédit d’impôt compétitivité emploi (CICE), décidé l’an dernier pour un montant de 20 milliards d’euros, devait, en baissant de 6 % les charges des entreprises, permettre des créations d’emplois. C’était aussi le résultat attendu de la loi dite de sécurisation de l’emploi, entrée en vigueur en juillet, qui, en facilitant les licenciements et les modifications du contrat de travail, lève ce que le Medef appelle « les freins à l’embauche ». « C’est l’inverse qui s’est produit puisque les plans sociaux ont atteint l’an dernier un record qu’on n’avait pas atteint depuis quatre ans », déplore Guillaume Etievant, secrétaire national à l’économie du Parti de gauche (PG). « Dans ce genre de pacte, relève Michel Husson, des Économistes atterrés, il y a toujours une dissymétrie entre les concessions, très précises, faites au patronat et les engagements complètement flous de ce dernier. » Au mieux, le pacte de responsabilité de François Hollande n’est donc aux yeux de l’économiste Thomas Coutrot qu’un « pur exercice de communication politique d’ailleurs assez pathétique ». Le porte-parole d’Attac y voit « l’habillage d’une politique néolibérale assez classique : on baisse le coût du travail et on attend que les actionnaires soient gentils ! ». Et au final, « un désengagement de l’État » supplémentaire. Au pire, « ce qu’il nous annonce, c’est purement et simplement une politique de droite, avec de manière explicite ou implicite l’expression de tous les poncifs de l’idéologie néoconservatrice et néolibérale », craint son collègue Jacques Généreux, professeur à Sciences Po.
Que le Président se fasse l’écho du ras-le-bol fiscal et annonce l’objectif de baisser les impôts étonne Agnès Michel. « La question n’est pas de savoir si on paie trop ou pas assez, mais de voir quels services publics on a en retour », déclare-t-elle, regrettant déjà « la remise à plat fiscale de Jean-Marc Ayrault ». Une réforme « torpillée », prédit Jacques Généreux : « Pour François Hollande, la réforme fiscale, ce n’est pas l’efficacité et la justice, c’est la baisse des impôts. Tout est dit ! » Autre nouveauté dans le discours présidentiel, le passage sur « les excès et les abus » de la Sécurité sociale est durement commenté. Si Jean-Marie Harribey, coprésident des Économistes atterrés, feint l’incompréhension – « Est-ce qu’il voulait parler des abus des médecins, des abus des gens qui prennent deux cachets au lieu d’un ? Ce n’était pas très clair… » –, Michel Husson juge le propos « absolument scandaleux ». « À la limite du nauséabond », abonde Jacques Généreux. Tous refusent toutefois de voir dans ces vœux présidentiels un « tournant » politique. Ils « marquent un approfondissement des choix libéraux » faits lors de la remise du rapport Gallois en novembre 2012, analyse Jean-Marie Harribey. La nouveauté, note Guillaume Etievant, « c’est que François Hollande assume encore plus ». « Un glissement progressif vers une politique de droite assumée », renchérit Thomas Coutrot. Une politique que Jacques Généreux résume ainsi : « On sort de la crise en réduisant le périmètre de l’État, en baissant les dépenses publiques et l’impôt, et en faisant la chasse au gaspillage provoqué par tous ces faux chômeurs, ces faux allocataires qui vivent aux crochets de la société. C’est absolument consternant. »