Les intermittents reviennent en scène
Dans le cadre des négociations en cours sur l’assurance chômage, les professionnels du spectacle défendent des pistes de réforme pour un système plus juste et moins coûteux.
dans l’hebdo N° 1287 Acheter ce numéro
Le régime de protection sociale se délite. Solidaire à l’origine, il évolue vers un système assurantiel individualisé. C’est flagrant sur le front de l’assurance maladie, où la part de prise en charge diminue au profit des complémentaires individuelles. Cela émerge sur le dossier de l’assurance chômage, où des entreprises privées entrent sur le marché (voir Politis n° 1286). Mais c’est manifeste depuis des années avec le régime d’indemnisation des intermittents du spectacle. Ces professionnels sont soumis depuis 2003 à un protocole qui, via les annexes 8 (pour les ouvriers et techniciens) et 10 (pour les artistes) de la convention Unedic, favorise ceux qui sont les mieux rémunérés et exclut les plus fragiles. Leur modèle est symptomatique des orientations politiques qui mettent à mal le système de protection sociale. Dès 2003, ils ont alerté sur l’injustice qu’instaurait le protocole signé par le Medef, la CFDT, la CFE-CGC et la CFTC. Raison pour laquelle ce texte, s’il a marqué la fin des grandes grèves de l’été 2003 qui avaient conduit à l’annulation de nombreux festivals, a débouché sur une forte mobilisation et une crise politique. Le mouvement s’est poursuivi au moins jusqu’en 2007. Sous sa présidence, Nicolas Sarkozy s’est bien gardé d’intervenir sur cet épineux dossier mais un grand nombre d’intermittents ont perdu leurs droits.
Pour pouvoir bénéficier de ces indemnités, il faut, pour l’heure, déclarer 507 heures de travail en 10 mois pour les techniciens et 10,5 mois pour les artistes. Sachant que ces heures correspondent aux contrats déclarés et non pas au travail « réel » effectué, a fortiori pour tous les créateurs préparant un projet. D’où l’intérêt de pouvoir bénéficier d’indemnités pendant les périodes où ils ne sont pas « sous contrat ». Les allocations journalières résultent d’une équation entre heures déclarées et salaires perçus. Plus on travaille régulièrement et à un taux élevé, plus le montant de l’indemnité grimpe. Voilà pourquoi les intermittents réclament depuis des années un plafond du cumul salaires-indemnités : tous les intermittents ouvriraient des droits, mais ceux qui gagneraient au-delà d’un seuil mensuel (2,4 fois le Smic par exemple) ne toucheraient pas d’indemnités les jours où ils ne sont pas sous contrat. Ce qui permettrait d’alimenter la caisse commune, les plus riches cotisant pour les autres, et pérennisant le système. Les annexes 8 et 10 auraient coûté un milliard d’euros en 2012, d’après un rapport de la Cour des comptes publié en novembre. D’où sa volonté de réformer ce régime qui concernerait 112 000 personnes. Mais le Comité de suivi des intermittents conteste ce milliard : « Ce n’est pas le montant du déficit mais une balance analytique qu’on agite comme un chiffon rouge ! », a déclaré Samuel Churin, de la Coordination des intermittents et précaires, lors d’une réunion de pré-bataille à l’Assemblée nationale, le 15 janvier. Le coût réel du régime ne serait « que » de 320 millions d’après le rapport d’information des députés PS Jean-Patrick Gille et UMP Christian Kert. Selon eux, le basculement des intermittents dans le régime général coûterait 800 millions d’euros. Aujourd’hui, les intermittents sont d’autant plus confiants qu’une enquête réalisée par le CNRS et l’université de Picardie, à la demande du Syndeac, établit que leurs propositions permettraient un système plus égalitaire mais aussi moins coûteux de 10 à 15 % que l’actuel, pour seulement + 4 % d’intermittents. Dans le cadre de la renégociation de la convention Unedic, qui a démarré le 17 janvier, ils proposent : un principe de 507 heures sur une période de référence de 12 mois (avec une date dite « anniversaire »). Une annexe unique pour tout le monde – car beaucoup passent d’un métier à l’autre. L’instauration d’un plafond de cumul indemnités-salaires. Enfin, la prise en compte des heures d’enseignement.
Les autres pistes de réforme, y compris celles du Sénat remises en décembre, n’auraient pour conséquence que d’aggraver les inégalités existantes. « 90 % des intermittents sont sur notre ligne », se réjouit Samuel Churin. À la table des négociations, l’opposition est moins pragmatique qu’idéologique. Les intermittents ont de quoi peser : un comité de suivi réactivé et uni (1) et une enquête scientifique qui va dans leur sens. Mais le contexte n’est pas favorable à plus de justice. Il faudrait que, là aussi, ils parviennent à faire exception.