Marie Kremer : « Faire ce métier aujourd’hui, c’est être résistant ! »
Membre du jury au Fipa, dans la section « série », la comédienne Marie Kremer livre son regard sur la fiction à la télévision et son travail.
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Née en Belgique, formée au théâtre, comédienne pour Costa-Gavras, Haneke ou Serreau au cinéma, pour Mordillat à la télévision, Marie Kremer s’est révélée au grand public avec la série Un village français.
Pour une comédienne, quel est l’intérêt de venir au Fipa au sein d’un jury ?
Marie Kremer : Voir ce qui se fait, c’est la base de notre métier. L’avantage du Fipa est aussi d’être international, ça permet de regarder notamment les réalisations européennes. On est là dans une position très agréable : voir des films et rencontrer des gens. Il n’y a pas d’enjeux mais une relation de partage, avec la possibilité de croiser d’autres métiers, des scénaristes, des réalisateurs, des producteurs, des distributeurs. On peut ouvrir ses oreilles, écouter, apprendre…
Comment percevez-vous la fiction à la télévision française ?
Ces dernières années, on a observé une réelle évolution en termes d’exigence. La télévision est l’un de ces endroits où, étrangement, je trouve ma liberté. C’est là que l’on me propose des projets étonnants, originaux. C’est le cas récemment avec Christian Vincent, qui a adapté les Complices, de Simenon, un film plein de silences, sur un sujet compliqué à monter. C’est aussi le cas pour les adaptations de Maupassant, la série Un village français ou certaines premières œuvres auxquelles j’ai participé pour Canal +, avec des gens qui n’ont donc jamais tourné et qui ont quatorze jours pour faire un film qu’on ne verra pas au cinéma. La télévision offre aujourd’hui la possibilité de faire des choses différentes. En tant que comédienne dans la série Un village français, relatant les années d’Occupation, quel sens donnez-vous au terme « résister » ? On ne peut évidemment pas se dire en résistance, au regard de certains combats de notre société aujourd’hui. Mais, dans notre métier, à notre endroit, il existe des espaces de résistance. Il est devenu tellement compliqué de monter un film, même de belles histoires ! Mais certains y parviennent au bout de quatre, cinq ou sept ans, parce qu’ils tiennent à leur sujet, à leurs acteurs, sans céder aux compromis. Faire ce métier aujourd’hui, c’est être résistant !
Comment abordez-vous votre travail ?
Un acteur, c’est quelqu’un qui travaille sur la longueur. Si l’on existe après dix ans, c’est vraiment bon signe. C’est aussi cela, le métier d’acteur : le rester même entre deux projets, deux tournages, ces mois sans travail, ces moments d’interrogation qui nous remettent à l’endroit pour savoir ce que l’on a envie de faire et avec qui, de quoi on a envie de parler. Être acteur, c’est aussi partager cela, traverser cela. Les périodes à côté, c’est toujours beaucoup plus compliqué.
Qu’est-ce qui vous plaît dans un personnage ?
Je n’ai pas besoin qu’on me raconte tout d’un personnage, je n’ai pas besoin de tout savoir, de tout comprendre. J’adore ce que l’on ne sait pas, comme dans la vie, comme une personne qui ne raconte pas tout quand on la rencontre. Qui est cet homme, qui est cette femme ? C’est quand même beaucoup plus intéressant que quelqu’un qui se raconte de A à Z en trente minutes. Les personnages avec lesquels on peut passer sept ans de sa vie sont des personnages qui se taisent, qui ne dévoilent pas tout d’eux-mêmes. Pour un comédien, c’est une belle expérience.
La fiction française offre-t-elle une palette de personnages suffisamment importante, complexe ?
J’ai eu peut-être de la chance, mais c’est en télévision que j’ai trouvé les plus beaux rôles. Sans doute parce que j’ai rencontré les bonnes personnes au bon moment. Je vais là où ça me plaît, mais il faut beaucoup de patience ! Et l’on ne reçoit pas tous les jours de beaux projets. Il m’arrive de dire « non, merci », même si la plupart du temps je dis oui par curiosité. Mais il y a des choses à la télévision, on se dit juste que ce n’est pas possible ! En tout cas, que ce n’est pas pour moi. Je garde cette exigence-là, à mon endroit, qui n’est pas celui d’une grande star. On doit garder un minimum d’éthique, même si l’on doit travailler.