Pierre Larrouturou : « Hollande a renoncé au progrès social »

L’économiste Pierre Larrouturou estime que les annonces du Président
sont entièrement tournées vers le Medef, et non vers les citoyens.

Thierry Brun  • 23 janvier 2014 abonné·es

Le fondateur de Nouvelle Donne, parti politique ancré à gauche, reproche au gouvernement son obstination à favoriser la croissance au seul profit du patronat, et de mener une politique contraire à la social-démocratie.

Quelle est l’analyse de Nouvelle Donne sur les annonces de François Hollande lors de sa conférence de presse ?

Pierre Larrouturou : Les déclarations de François Hollande, mais aussi celles de Pierre Moscovici et d’Arnaud Montebourg, confirment que nous allons dans le mur. Nous sommes très critiques car il y a là quelque chose de scandaleux du point de vue politique et philosophique. Le seul discours du Président consiste à mettre en avant le « produire plus », alors que nous connaissons une crise de civilisation. La politique de l’offre, cela ne marche pas. Les États-Unis s’enfoncent dans la crise, le taux d’activité s’est effondré : il n’y a plus que 62 % des Américains qui sont actifs. En Allemagne, le taux de croissance vient de tomber à 0,4 % en 2013, et le pays subit une précarité catastrophique. Arnaud Montebourg dit pourtant qu’il faut faire comme aux États-Unis et en Allemagne, alors qu’il disait, il y a deux ans, qu’il fallait engager la démondialisation ! Le mot était ambigu, mais il posait des questions intéressantes sur le changement des règles du jeu. Par exemple : comment imposer des règles sociales et environnementales dans la mondialisation ?

Avec la présentation du pacte de responsabilité, François Hollande n’entame-t-il pas un virage libéral ?

Ce n’est pas un virage. Avant le pacte de responsabilité pour les entreprises, il y a eu le crédit d’impôt sur la compétitivité et l’emploi (CICE) de 20 milliards d’euros. Comment va-t-on financer les 30 milliards d’euros du pacte ? Yvon Gattaz  [ancien président du CNPF, ex-Medef, NDLR], le père de Pierre Gattaz, président du Medef, promettait il y a trente ans la création de 471 000 emplois si on supprimait l’autorisation administrative de licenciement. Il a obtenu cette suppression et cela n’a créé aucun emploi !

François Hollande estime que son pacte fait partie du compromis social-démocrate…

Non : c’est le contraire de la social-démocratie. François Hollande a renoncé au progrès social et à une société plus durable. La social-démocratie, c’est le contrat de progrès social par le débat et l’accord démocratique. Or, le gouvernement s’enferre dans un dialogue avec le Medef, sans les citoyens et les syndicats de salariés.

Que ferait Nouvelle Donne ?

Nous avons présenté vingt propositions sur notre site et nous publierons un manifeste en avril. Nous montrons comment retrouver l’équilibre des finances publiques. Au lieu d’augmenter la TVA ou l’impôt sur les personnes, on pourrait lutter contre les paradis fiscaux et modifier le code des marchés publics pour interdire les commandes publiques aux entreprises utilisant ces paradis fiscaux pour ne pas payer d’impôt. Cela représente 30 à 40 milliards d’euros. Faut-il s’aligner sur le moins-disant fiscal européen, comme on est en train de le faire ? Le taux d’impôt sur les bénéfices est passé de 37 % à 25 %, et il n’y a jamais eu autant de bénéfices en Europe. Est-ce qu’on est capable de créer un impôt européen sur les bénéfices ? La France gagnerait chaque année 21 milliards si le budget européen était financé de cette manière. Le dernier rapport de la Cnuced [^2], publié en septembre 2013, montre que la crise vient fondamentalement des inégalités. Comment se fait-il que les socialistes français ne soient pas capables de le comprendre et de corriger le tir ?

[^2]: Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement.

Politique
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