Tout de gob
J’ai supposé que Thierry Lepaon allait annoncer la grève générale, mais non.
dans l’hebdo N° 1287 Acheter ce numéro
J’étais pour t’entretenir de sujets un peu légers – genre les faux-culs de compète des magazines comme il faut qui font depuis quelques jours des leçons de morale à la presse people –, mais je sors à l’instant de la lecture, dans le Monde de ce soir (qui n’arrivera que demain matin dans tes reculées provinces), d’une loooongue interview de Thierry Lepaon, taulier de la Confédération générale du travail (CGT), et je voudrais, s’il te plaît – de même, d’ailleurs, que s’il ne te plaît pas, vu que je vois pas comment tu pourrais m’obliger à te parler d’autre chose –, te faire partager ma détresse.
D’où vient-elle ? De ce que, dans la première partie de cet entretien, Thierry Lepaon dit tout de gob [^2] l’irritation que lui inspirent – comme à toi, j’imagine [^3] – « les annonces de M. Hollande », et constate – le moyen de faire autrement – qu’elles lui donnent très fort l’impression que « le Premier ministre, c’est Pierre Gattaz », boss des bosses. Ce que lisant, j’ai supposé que cet important syndicaliste allait, pris de conséquence, faire une série d’annonces un peu denses, du style « c’est la guerre (sociale), et, dans ladite, nous allons dès ce soir user de nos trois armes de destruction massive, qui sont, je le rappelle : la grève (générale), la grève (générale) et la grève (générale), d’où nous ne sortirons plus tant que le félon de l’Élysée n’aura pas rendu le power to the people – a utant dire qu’on n’est pas rendu(e)s, et que, si j’étais toi, je ferais quelques réserves de nouilles et de sucre ».
Puisque, en effet, l’histoire nous enseigne que, dès lors qu’un gouvernement compisse le prolétariat depuis le haut de sa tour d’ivoire, le seul moyen de le ramener à la raison est de lui paralyser l’appareil productif – continue comme ça, rigolo, et tu vas voir, ta « croissance », comment qu’on va te l’émietter. Au lieu de quoi, Thierry Lepaon n’a de cesse de protester que non, merci : nonobstant que le premier fait dans la flatterie du patronat beaucoup pis que son prédécesseur, il n’envisage pas du tout de « mettre le signe égal entre M. Hollande et Nicolas Sarkozy ». Et d’ailleurs : à aucun moment il ne menace d’organiser, contre le gattazisme gouvernemental, une quelconque riposte, et n’évoque pas même – c’est dire – la possibilité d’organiser l’une des burlesquissimes « journées de mobilisation » à quoi s’est le plus souvent limité depuis dix ans, dans les occasions de grand péril social, l’engagement de sa centrale.
Ce qu’oyant, le journaliste du Monde qui recueille ses commentaires ne manque pas de lui rappeler que « 48 % des salariés attendent de la CGT qu’elle soit “plus réaliste dans les négociations” » – exactement comme si, de son point de vue, même l’émolliente pondération de son interlocuteur était déjà trop radicale.
[^2]: T’ai-je déjà dit combien j’aime ces tournures anciennes où l’on mettait à « gob » un « b » ?
[^3]: Et en même temps, hein : t’ai-je point prévenu, l’an dernier, quand tu t’obstinais à lui vouloir donner de ta voix ? Reconnais ?
Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.