Une quenelle très indigeste
Geste « antisystème » ou « salut nazi inversé », ce signe de reconnaissance inventé par Dieudonné défraie la chronique depuis plusieurs mois. Un phénomène aux relents clairement antisémites, amplifié sur Internet.
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Cette année sera-t-elle celle de la « quenelle » ? Ces derniers mois, c’est une véritable indigestion. Jeunes, militaires, pompiers, sportifs ont succombé à la mode de ce geste inventé par l’ex-humoriste Dieudonné. Bras tendu vers le sol, main sur l’épaule, la posture est présentée comme « antisystème et potache » par son inventeur. Pour Alain Jakubowicz, président de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra), il s’agirait d’un « salut nazi inversé ». Mais, la meilleure définition, c’est sans doute le chanteur Charlélie Couture qui l’a donnée sur un blog le 23 décembre : un « bras de déshonneur […] raide mais trop lâche pour se dresser » .
Servi par un sens de la repartie et un talent d’imitateur certains, Dieudonné fait passer par de lourdes allusions, dans son spectacle le Mur, des idées qui tomberaient sous le coup de la loi si elles étaient explicites. La Shoah et « l’oligarchie négrière » tournent en boucle, avec la chanson « Shoah Nanas » pour fil conducteur.
Les médias ont retenu la charge contre Patrick Cohen, pour laquelle Radio France a décidé de saisir la justice. Évoquant la polémique du mois de mars entre l’animateur de France Inter et Frédéric Taddeï sur les personnalités qu’on n’a « pas envie d’entendre », Dieudonné s’écrie : « Lui, si le vent tourne, je ne suis pas sûr qu’il ait le temps de faire sa valise. […] Tu vois, moi, quand j’entends ça, je me dis : les chambres à gaz… dommage ! »
Mais c’est loin d’être la seule allusion antisémite du spectacle. Quelques minutes plus tôt, il lance : « Entre Hitler et les juifs, je ne sais pas qui a commencé… Mais j’ai ma petite idée. » Fou rire de la salle. Plus loin, il « pisse » sur le mur des Lamentations, puis campe un tirailleur sénégalais qui finit par regretter de ne pas avoir combattu pour l’armée nazie. Un autre sketch est une insulte aux homosexuels et aux partisans du mariage pour tous. Affirmant que cette loi va créer un marché de « la vente d’organes », Dieudonné se lance dans l’imitation d’un entrepreneur africain qui propose à un couple d’hommes de leur vendre un enfant issu d’une « usine à bébés ».
Christiane Taubira, qualifiée de « Cheetah » du gouvernement, en prend aussi pour son grade, « elle qui a fait sa carrière sur la pleurniche des Noirs » et maintenant sur celle des homosexuels… Nausée assurée.
Côté commerce, de l’aveu même de la compagne et manageuse de Dieudonné, Noémie Montagne, les affaires marchent aussi très bien. Dans un échange de mails aigres-doux avec Alain Soral, rendu public par le site proche de l’extrême droite israélienne jssnews.com, elle affirme avoir « quadruplé le chiffre d’affaires » de sa société, les productions de la Plume, en quatre ans. « Le premier semestre de notre activité explose littéralement » indique encore celle qui vient de déposer la marque « Quenelle ». Accusé de lui faire de la concurrence sur la vente de produits dérivés, Soral, le président du site Égalité & Réconciliation, répond même espérer « que demain il ne faudra pas aussi [lui] payer des droits pour être antisémite » .
Si Dieudonné est célèbre depuis ses sketchs avec Élie Semoun dans les années 1990, reste à savoir ce qui produit ce regain de popularité. Mélange de désaveu pour le gouvernement socialiste et de réveil des réacs dans la foulée de la manif pour tous et du meurtre de Clément Méric ? Possible, car le pseudo-humoriste a toujours affiché son hostilité au mariage homo. Et à la suite de la mort du jeune militant antiraciste, en juin, il avait complaisamment interviewé Serge Ayoub, skinhead en chef, convenant avec lui que les « antifas [étaient] les vrais racistes ». En attendant, « l’affaire Dieudonné » est devenue nationale. Le ministère de l’Intérieur affirme étudier « toutes les voies juridiques » pour interdire les « réunions publiques » du personnage, et plusieurs municipalités en ont déjà pris l’initiative, offrant ainsi un surcroît de visibilité à sa tournée. Et l’affaire menace de dégénérer. En décembre, le site de Dieudonné a été hacké, plusieurs identités de « quenelliers » ont été divulguées, notamment par le site jssnews (par ailleurs lui aussi peu recommandable), et des expéditions punitives ont été organisées, comme à Lyon, le 21 décembre, où six personnes ont été arrêtées. On n’a pas fini d’en manger, de cette quenelle avariée.