Adonis et les révolutions arabes
Le poète d’origine syrienne nous livre ses réflexions sur la tragédie que vit son pays.
dans l’hebdo N° 1292 Acheter ce numéro
Que pense Adonis de la tragédie qui ensanglante la Syrie ? Que dit-il, plus généralement, des « printemps arabes », puisque c’est sous ce titre un peu anachronique que paraît, aux Éditions de la Différence, un recueil d’articles parus depuis mars 2011 ?
À première vue, Ali Ahmad Said Asbar – c’est son vrai nom – renvoie dos à dos régime et opposants. Mais nous ne sommes pas là face à cette recherche de symétrie détestable qui envahit depuis plusieurs mois les médias (vous savez, les « exactions commises de part et d’autre » ), qui tient lieu d’objectivité journalistique. Au fil des pages, le poète nous invite à une réflexion plus profonde sur le rapport entre « religion et révolution ». Un chapitre de ce livre résume finalement assez bien sa pensée : « Les révolutions naissantes ne font pas mourir les régimes établis ». Il faut entendre par là qu’il ne peut y avoir de révolution victorieuse si le socle idéologique, et en l’occurrence religieux, demeure le même. Le tyran peut tomber, mais il sera remplacé par un régime de même essence. Pour Adonis, « la lecture du parti “Baas” de la réalité arabe est presque une lecture religieuse et patrimoniale », mais « toute lecture religieuse à son tour est quasiment “baasiste” ». Philosophiquement juste, la sentence est politiquement discutable en ce qu’elle fait appel à des catégories abstraites. Il n’y a peut-être pas qu’une seule « lecture religieuse ». Quoi qu’il en soit, le poète, aujourd’hui âgé de 84 ans, ne dissimule pas derrière ce jugement un soutien déguisé au régime. Ce grand proscrit, contraint de quitter son pays en 1956 après avoir connu les prisons du régime, n’a pas de mots assez durs, et par conséquent assez justes, pour qualifier le parti Baas « qui s’est transformé inévitablement en parti fasciste et raciste ».
Adonis a aussi le mérite de réduire à néant un mythe bien ancré dans le récit occidental : celui d’un régime baasiste garant de la laïcité face au Jihad, alors qu’il a lui-même instrumentalisé les haines communautaires. Mais, chez Adonis, la critique radicale du fait religieux a aussi ses limites. « Je n’accepte jamais de participer à une manifestation qui part de la mosquée […], écrit-il, ce n’est pas de la mosquée qu’il faut partir. » Là encore, on comprend la symbolique de la réflexion, mais la politique n’échappe pas au principe de réalité, et les Syriens partent de là où ils peuvent, physiquement et culturellement.