Des citoyens aux portes des mairies
Portées depuis 2001 par la défiance des électeurs envers la politique traditionnelle, des dizaines de listes se présentent le 23 mars en marge des partis, avec des chances de succès grandissantes.
dans l’hebdo N° 1290 Acheter ce numéro
Des assises de l’habitat, un contrat de santé pour les habitants, un remodelage de l’urbanisme, l’engagement auprès de la jeunesse, la consultation de la population dans l’élaboration des projets, un observatoire indépendant des réalisations municipales… La liste « Construire ensemble un Andrésy solidaire » (CEAS) pétille d’idées pour sa ville – 12 000 habitants au confluent de la Seine et de l’Oise, dans les Yvelines. Il y a un an, un groupe de citoyens décide de se présenter à l’élection municipale de mars 2014. Aucun n’est adhérent d’un parti. Ils entendent bousculer le maire UMP Hugues Ribault, critiqué pour son penchant autocratique et sanctionné pour non-respect du code des collectivités territoriales. CEAS, qui a engagé en 2013 un audit citoyen des comptes municipaux, a dû faire appel à la Commission d’accès aux documents administratifs pour se faire remettre des documents publics. Ses investigations montrent, entre autres, un doublement du coût des travaux de prestige du centre-ville, lesquels engloutissent une bonne part du budget municipal.
Vendredi 30 janvier, CEAS tenait une réunion publique consacrée à « la ville écologique et solidaire ». Élisabeth Dousset et Marc-Noël Vandamme y ont exposé diagnostic et projets. Un travail en profondeur et de qualité, estime l’architecte Roland Castro, invité à réagir. « Il ne s’agit que de propositions, l’ensemble de notre programme sera débattu avec les Andrésiens », insiste Élisabeth Dousset. La démocratie participative : un leitmotiv de CEAS. La liste a reçu le soutien du PS et du Front de gauche, qui ont renoncé à la concurrencer. « Nous nous félicitons de leur participation sans arrière-pensée à l’élaboration de notre projet, qui se présente comme un très large rassemblement à gauche [^2] », souligne Philippe Laville, tête de liste (voir ci-contre). La liste citoyenne ^3 serait en tête dans les sondages et pourrait tirer parti de l’éclatement de la droite : le maire sortant affronte une de ses adjointes dissidentes, investie par l’UMP et l’UDI. L’aventure citoyenne d’Andrésy se répète à des dizaines d’exemplaires en France. Si les partis de tous bords ont coutume d’intégrer sur leurs listes des personnalités de la société civile, l’émergence nationale de véritables listes citoyennes date du scrutin municipal de 2001, à l’instigation du mouvement des Motivé(e)s, né à Toulouse. Certaines ont prolongé l’expérience, comme « Citoyens unis pour Châtenay-Malabry », dans les Hauts-de-Seine, qui a obtenu plusieurs élus depuis 2001. Mais comment empêcher Georges Siffredi (UMP) d’être élu au premier tour, comme depuis deux mandats ? La gauche, majoritaire lors de la dernière présidentielle, perd dans la ville la moitié de ses voix aux élections locales ! « Beaucoup sont déçus de la politique. La ville est verrouillée par le maire, les gens craignent de se rendre à nos réunions publiques », constate Geneviève Colomer, proche des écologistes. L’alliance avec le PS a prouvé sa stérilité, estime le groupe citoyen dont elle est issue. « Ils ne veulent que notre ralliement et garder la tête de liste. » Geneviève Colomer mènera donc une liste « Châtenay, c’est à vous ^4 ». Le groupe a décidé de changer radicalement sa méthode de travail pour arpenter en priorité les quartiers populaires, où vivent ces électeurs que la gauche classique ne raccroche plus.
« Alternative citoyenne pour Saint-Nazaire ^5 », 17,7 % au second tour en 2008, fait aussi son apprentissage politique : alors qu’il était prévu que ses quatre élus municipaux laissent leur place à mi-mandat à des colistiers, seul Thierry Brulavoine, proche du mouvement de la décroissance, s’y était plié. « L’attrait du pouvoir… C’est une leçon. En 2014, nous avons fait signer une charte à tous les candidats. » Le groupe peut s’appuyer sur six années de travail : des critiques de la « gestion durable du capitalisme » du maire PS Joël-Guy Batteux (soutenu par le PC et EELV) aux propositions élaborées collectivement – création de jardins partagés, d’une monnaie locale, de conseils de quartier. Mais ni le Parti de gauche ni le NPA n’en seront. « Leur priorité, c’est la nationalisation des chantiers navals, souligne Thierry Brulavoine. Nous sommes bien plus engagés sur des projets d’économie solidaire locale, quitte à écouter des gens du MoDem. » Gestion politique délicate à Montreuil (93) également. Après le renoncement surprise de Dominique Voynet, le groupe citoyen qui laboure la ville depuis vingt-cinq ans, et dont l’engagement a été décisif dans la victoire de la maire EELV en 2008, présente une liste « Ensemble pour Montreuil », tirée par un militant local, Ibrahim Dufriche, empreint de culture de gauche et écologiste. Rééditer le coup de 2008 ? Un défi de taille. Qui supposera de démontrer à l’électorat que la dynamique citoyenne peut s’affranchir des embrouilles auxquelles se livrent les partis de gauche dans cette ville qui leur est pourtant acquise. Plusieurs justifications reviennent dans la bouche des initiateurs de listes citoyennes : la défiance grandissante des électeurs face aux partis, la montée de l’abstention, la menace de l’extrême droite et la critique des pratiques peu démocratiques des équipes en place. Ainsi la liste écolo-citoyenne « Angers vivre mieux naturellement ^6 », dont plusieurs militants ont tâté des partis, a-t-elle voulu marquer les esprits, et notamment ceux de la coalition PS-EELV-PC du maire sortant, en désignant sa tête de liste par tirage au sort, parmi sept candidats. Ce sera Nathalie Sevaux, animatrice en agriculture bio. « Pour un renouvellement du personnel politique et un gain d’énergie considérable, alors que les autres perdent un temps fou à se disputer les places au lieu de s’occuper de politique. À Angers, le Front national, absent en 2008, est de retour », commente Stéphane Raimbault, ex-EELV.
À Bû (28), petit village de 1 800 habitants où la maire UMP a décidé sans débat la construction d’un très gros silo à grains, la levée de boucliers a suscité une liste citoyenne pour tenter de la démettre [^7]. « Une énergie nouvelle pour Prades-le-Lez ^8 », ville de 4 500 habitants proche de Montpellier, s’est constituée quant à elle sur le dos d’une municipalité socialiste qui cumule les critiques – gestion autocrate, urbanisation anarchique, environnement à la trappe… En octobre dernier, à l’issue d’une réunion publique, des parents d’élèves, des associations, des défenseurs de l’environnement, notamment, lancent cette liste « écologique, sociale et culturelle » au programme établi en ateliers publics. La démarche, relève un militant, est considérée « sans enthousiasme et parfois même avec condescendance » par le PS – qui a désormais désavoué le maire – et les autres candidats de gauche. « Mais nous comptons bien gagner une position clé pour le second tour et négocier au mieux le profil de la prochaine municipalité. » La dénomination « citoyenne », devenue assez commune, qualifie fréquemment une démarche de rénovation engagée par des groupes politiques locaux. À Saint-Michel-sur-Orge (91), c’est la claque de 2008 qui l’a provoquée : dans cette ville tenue par la gauche, les dissensions entre ses composantes ont permis à l’UMP de l’emporter. « On a entendu des noms d’oiseaux, témoigne Christian Piccolo, membre de la coopérative EELV. Nous avons admis qu’il fallait un renouveau. » La liste « Agir ensemble à gauche ^9 » est née de réunions publiques lancées en juin par le PS, EELV et deux collectifs locaux, invitant des citoyens à coélaborer le programme, « à niveau égal ». C’est un écologiste, Christian Soubra, qui mènera la liste, qui ne comporte cependant que deux « citoyens » (sur 35 noms) en position éligible.
« Clichy citoyenne » (92) fait mieux : sur 45 noms, un tiers à peine est encarté, précise la tête de liste, Marie-Claude Fournier (EELV). La liste et le programme ^10 se sont formés depuis septembre lors d’ateliers autour des six élus PG et EELV, lesquels ont rompu en 2010 avec le socialiste Gilles Catoire, maire depuis vingt-huit ans. « Il s’est allié au Modem pour faire passer ses projets ! » En particulier la construction de tours dans la ville, alors qu’un questionnaire initié par la municipalité montrait que 55 % des répondants les rejetaient. « Catoire est discrédité, on espère une bonne surprise », confie Marie-Claude Fournier. À Grenoble, où des groupes citoyens et politiques collaborent depuis trois décennies, il est devenu superflu de distinguer les influences de la liste « Une ville pour tous ^11 », menée par Éric Piolle, militant EELV et cofondateur du Collectif Roosevelt 2012, et dont la moitié des candidats n’est pas encartée. Depuis 1983 notamment, l’Association démocratie écologie solidarité (Ades), fondée « pour changer les politiques publiques », accompagne des élus citoyens ou écologistes, dont certains ont contribué à mettre à bas le système Carignon. Le réseau citoyen créé par Ades soutient la liste, tout comme le PG, les Alternatifs et la Gauche anticapitaliste. L’engagement citoyen grenoblois n’a jamais été aussi près de voir ses efforts récompensés au plus haut niveau.
[^2]: EELV présente une liste avec le MoDem.
[^3]: www.ceas-andresy.fr
[^4]: chatenaycestavous.org
[^5]: alternativecsn.blogspot.fr
[^6]: www.angersnaturellement.fr
[^7]: Voir Politis n° 1279, du 28 nov. 2013.
[^8]: prades-le-lez.tumblr.com
[^9]: stmichel-valdorge.gauche2014.fr
[^10]: clichycitoyenne.fr
[^11]: unevillepourtous.fr