Du village à la métropole
L’intercommunalité reste largement absente du débat pour les municipales. La quasi-totalité des communes sont pourtant concernées, avec de nombreux reculs démocratiques à la clé.
dans l’hebdo N° 1292 Acheter ce numéro
Pour la première fois, à l’occasion des élections municipales des 23 et 30 mars, les électeurs des communes de plus de 1 000 habitants éliront également un ou plusieurs conseillers communautaires. La quasi-totalité des communes sont concernées puisqu’au 1er janvier, 36 614 d’entre elles étaient adhérentes d’un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre. Un terme administratif générique qui désigne toutes les formes de regroupements de communes : communauté de communes, communauté d’agglomération, syndicat d’agglomération nouvelle, communauté urbaine ou métropole. Jusqu’ici, les conseillers communautaires qui siégeaient dans ces instances étaient élus au sein de chaque conseil municipal au suffrage indirect, mais ce système était critiqué étant donné l’importance des compétences transférées.
À y regarder de près, le « progrès démocratique » est loin d’être la panacée. Le vote se fera toujours sur un seul bulletin. Simplement celui-ci comprendra deux listes, celle des élus municipaux et ceux qui, parmi eux, siégeront au conseil communautaire. Ce qui ne permet guère au citoyen d’arbitrer politiquement les débats de son intercommunalité, dont majoritairement il ignore qui la dirige. Pour preuve, la dimension intercommunale reste très largement absente des campagnes électorales. Du nord au sud de la France, les candidats font comme si cet échelon n’existait pas. Comme s’ils disposaient de tous les pouvoirs d’ores et déjà transférés à la structure intercommunale. « Pourtant, rappelle dans le Monde (22 février) Nicolas Portier, délégué général de l’Assemblée des communautés de France, il est bien inutile pour un maire en campagne de s’engager sur des thèmes liés à l’habitat, aux transports urbains, aux équipements culturels, à l’emploi… car chacun de ces points fera l’objet d’une codécision à l’échelle de l’intercommunalité. » Et ce mouvement de dépossession n’est pas terminé. Les premières structures intercommunales apparaissent à la fin du XIXe siècle sous la forme de syndicats intercommunaux pour permettre aux communes qui en expriment le souhait de répondre à des besoins d’équipement précis (électrification, adduction d’eau, assainissement, voirie, etc.). Si des formules plus intégrées ont été initiées par l’État à partir des années 1950 pour accompagner le processus d’urbanisation, avec notamment la création en 1966 des quatre premières communautés urbaines (Bordeaux, Lille, Lyon et Strasbourg) conçues pour remédier au décalage entre les structures administratives existantes et la réalité géographique de ces agglomérations, les lois créant la communauté de communes (1992) et la communauté d’agglomération (1999) restaient fondées sur le volontariat et l’incitation. Cette liberté disparaît avec la réforme sarkozyste de 2010 qui rend obligatoire l’adhésion des communes à une intercommunalité. La loi de 2010 crée également deux nouvelles formes d’association : le pôle métropolitain et la métropole, dont le rôle est renforcé par loi du 27 janvier 2014 qui crée douze métropoles, dont trois avec un statut particulier (Paris, Lyon, Aix-Marseille) et deux « euro-métropoles », Lille et Strasbourg.
Sous la présidence de François Hollande comme sous celle de Nicolas Sarkozy, la philosophie est identique : les communes, jugées trop nombreuses, trop coûteuses et pas suffisamment « compétitives », voient leur rôle progressivement réduit à celui « d’opérateurs de services de proximité sous tutelle juridique et perfusion financière », selon une formule de Pierre-Yves Collombat, sénateur Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) du Var et vice-président de l’Association des maires ruraux de France. C’est ainsi qu’un nouveau projet de loi, présentée en avril prochain, devrait à nouveau inciter aux regroupements de collectivités par l’octroi de bonus dans le calcul des dotations et poursuivre la rationalisation de la carte des intercommunalités. Résultat probable : des conseillers communautaires, élus fin mars pour six ans, verront leur mandat disparaître avec la structure pour laquelle ils étaient mandatés, tandis que d’autres seront appelés à siéger dans des structures qui n’existaient pas lors de leur élection. Ce qui relativise le bénéfice démocratique de l’élection au suffrage direct des conseillers communautaires… « La démocratie est d’abord forte de l’engagement des citoyennes et des citoyens, de leur volonté de se faire entendre et de participer à l’élaboration du vivre ensemble », rappelait la Ligue des droits de l’homme, dans une résolution voté à son congrès en 2007. L’association estimait « urgent de réduire la distance qui sépare aujourd’hui le système politique de la société civile, de faire évoluer la démocratie instituée pour lui redonner un enracinement vivant dans les pratiques civiques et sociales ». Or « loin d’être une loi de décentralisation », la loi d’affirmation des métropoles « concentre les pouvoirs locaux en poursuivant l’effacement des communes et des départements entamé avec la réforme de 2010 », notait le président communiste du conseil général du Val-de-Marne, Christian Favier, lors de la présentation du texte au Sénat. Ce mouvement de concentration s’accompagne en outre d’une multiplication des statuts particuliers, toutes les métropoles n’étant pas régies par les mêmes textes et pouvant avoir des champs d’intervention différents. « On introduit un code particulier avec des droits particuliers sur des territoires particuliers au prétexte qu’ils seraient en concurrence les uns avec les autres ou avec d’autres territoires en Europe », résume Pascale Le Néouannic, présidente du groupe Front de gauche et Alternatifs à la région Île-de-France. « Cela crée une inégalité des citoyens devant la loi en fonction des lieux où ils habitent », s’alarme-t-elle. On reviendrait sournoisement à l’Ancien Régime, quand Voltaire écrivait dans son Précis du siècle de Louis XV : « Un homme qui court la poste, en France, change de lois plus souvent qu’il ne change de chevaux. »
Le gouvernement justifie , lui, ces statuts différents par la nécessité de s’adapter à « la diversité des territoires » pour leur permettre d’être compétitifs. Avec un raisonnement simple : 60 % de notre PIB provient d’une douzaine d’agglomérations à qui il suffirait donc de lâcher la bride pour favoriser le redressement de la France. « Plus les grandes agglomérations seront dynamiques, plus la croissance économique du pays sera solide », veut-on croire à Matignon. « Autour des grandes métropoles qui vont se faire une guerre économique, on va trouver des territoires ruraux ou semi-urbains laissés à la dérive », pronostique Armand Creus, porte-parole rhodanien d’Ensemble ! et ancien syndicaliste au Grand Lyon. Françoise Chevallier, tête de liste EELV dans le IIIe arrondissement de Lyon, « plutôt favorable à la métropolisation », est moins catégorique, mais elle y met comme condition que « les Régions aient un rôle beaucoup plus fort » afin d’être les « garantes de l’équité entre les territoires urbains et périurbains ». Ce qui est une autre manière de reconnaître que le nouveau pouvoir des métropoles pose problème.