Duras, la révolte au cœur

Pour le centenaire de l’écrivain, Didier Bezace donne une nouvelle lumière à deux de ses œuvres et reconstitue ses entretiens avec François Mitterrand.

Gilles Costaz  • 27 février 2014 abonné·es

Le centenaire de Marguerite Duras ne passera pas inaperçu. On ne compte pas les nouvelles mises en scène des pièces de l’auteur de Barrage contre le Pacifique. Didier Bezace, qui a terminé ses mandats de directeur du théâtre de la Commune à Aubervilliers, fait une incursion dans le théâtre privé – au théâtre de l’Atelier, où les places ne sont pas bon marché – avec un triptyque Duras, les trois âges. Trois mises en scène de textes différents qui n’épuisent pas l’univers durassien, mais en éclairent trois aspects. En fait, le cycle comprend deux pièces, le Square et Savannah Bay, respectivement de 1956 et 1983, et un montage fait à partir des entretiens entre l’écrivain et Mitterrand, Marguerite et le Président. Ce dernier spectacle est anecdotique. Jean-Marie Galey donne au personnage de Mitterrand le soupçon d’emphase qu’il faut, mais l’idée de faire jouer Duras par une actrice de dix ans, Loredana Spagnuolo, ne fonctionne qu’un instant. A contrario, les deux mises en scène qui s’appuient sur des œuvres de théâtre sont de toute beauté. Surtout le Square, dont le point de départ et le développement de la rencontre qui s’y déroule ne semblent pas dépasser le cadre de la banalité. Dans un jardin public, une femme, qui a la charge d’un enfant, fait la connaissance d’un voyageur de commerce. Ils parlent de tout et de rien. Du moins l’a-t-on longtemps cru. Cette première pièce de Duras ne serait qu’une variation sur le langage quotidien comme on en écrivait dans les années 1950. Mais c’est bien plus que cela. C’est une conversation sur le bonheur et le malheur, aux ressorts politiques et psychiques. Comment vivre face au sort qui nous est donné ? Les réactions de la femme sont, dites sur l’air du n’importe quoi, d’une sourde violence.

Ce Square est tranchant, révolté, au plus près de la détresse humaine. Clotilde Mollet donne une interprétation d’une richesse sidérante, allant de la douceur à la sauvagerie, de la sérénité à la douleur. Être une actrice durassienne, ce n’est pas, comme on l’a souvent pensé, être dans une incantation littéraire, c’est retrouver, sous différentes formes, le sentiment d’injustice et de rébellion que l’auteur a toujours gardé en elle. Face à l’extraordinaire Clotilde Mollet, Didier Bezace n’est pas en retrait. Il a subtilement orchestré cette mise en scène et joue lui-même le VRP dans une bonhomie troublée, comme si ce dialogue d’un jour, lancé au hasard, était de la plus grande urgence. Il avait déjà monté le Square il y a quelques années, mais pas avec cette fascinante acuité. Quant à Savannah Bay, c’est une pièce plus tardive sur la mémoire. Une femme âgée répond aux questions d’une jeune femme qui est une soignante ou bien sa fille. Tout est toujours incertain, car la vieille femme confond sa vraie vie aux vies imaginaires qu’elle a jouées quand, actrice, elle faisait du théâtre et du cinéma. Après les interprétations mémorables de Madeleine Renaud et Bulle Ogier, puis de Gisèle Casadesus et Martine Pascal, la mise en scène sait trouver une autre voie, qui s’éloigne du style cérémoniel et crée des images inspirées (la vieille femme marchant tout à coup dans un studio de cinéma). Anne Consigny y affirme une juste simplicité charmeuse. Emmanuelle Riva n’est pas immédiatement dans la vérité de l’égarement, mais devient bouleversante dans les derniers moments. C’est, évidemment, un événement rare que de revoir cette grande actrice en scène. Mais la nouvelle lumière donnée au Square est la clarté majeure de ce cycle Duras.

Théâtre
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