L’islam sectaire n’est pas l’islam
L’anthropologue Dounia Bouzar combat préjugés et amalgames, sans épargner les musulmans.
dans l’hebdo N° 1291 Acheter ce numéro
Le titre du dernier livre de Dounia Bouzar sonne comme une injonction : Désamorcer l’islam radical. Sans doute revient-il en premier lieu aux musulmans eux-mêmes de combattre « ces dérives sectaires qui défigurent l’islam ». De plain-pied dans une actualité que surexploitent les médias, l’anthropologue s’adresse aux parents qui ne voient pas toujours venir chez leurs enfants les signes annonciateurs de la rupture. Une rupture dont l’essayiste analyse les différents degrés. On pense évidemment à ces gamins en partance pour la Syrie. Mais Dounia Bouzar écrit aussi pour nous tous, et pour cette société française si avide de simplifications et si prompte à produire des amalgames dévastateurs. Indispensable, en particulier, l’analyse des différences entre les « radicalisés » et les jeunes « tendance Frères musulmans ». Quand les premiers, en rupture avec la société, érigent « au niveau symbolique » une « frontière infranchissable », les seconds, considérant au contraire l’islam comme un programme social et politique, se « mélangent à la société […], fréquentent des acteurs de tous bords […], y compris des marxistes athées ». La confusion entre les uns et les autres et la stigmatisation font évidemment le jeu des plus radicaux.
De même, Dounia Bouzar revient avec précision sur les diverses significations du voile, quand certains intellectuels médiatiques n’en veulent voir qu’une seule, et quasiment « jihadiste ». Le foulard a-t-il un lien avec le radicalisme ? « Évidemment non », répond Dounia Bouzar, qui rappelle que « le foulard fait partie de la tradition musulmane depuis la nuit des temps ». « Contrairement au niqab prôné par l’islam radical, il n’a pas pour fonction initiale de séparer les uns des autres, mais au contraire de “protéger les femmes” dans un espace masculin. » Ce qui n’empêche pas l’anthropologue de faire la critique d’un certain « féminisme musulman ». Un féminisme qui ne s’étonne pas qu’aujourd’hui encore « les hommes aient besoin de ce signe pour ne pas réduire [les femmes] à un objet sexuel ». Pour autant, la critique ne doit pas conduire à l’interdit. Dounia Bouzar estime au contraire que « l’État, en interdisant le voile dans l’enceinte scolaire, a renforcé son rôle de marqueur identitaire ». Le danger pour l’islam n’est pas dans cet attribut vestimentaire, mais dans un phénomène qui n’a rien à voir, et que l’anthropologue définit comme un radicalisme « d’essence totalitaire » qui utilise « les processus sectaires pour rallier des individus autour d’un projet de purification interne et d’expansion externe ». Le grand mérite de l’ouvrage est de mettre de l’ordre dans nos idées quand tant d’autres, au nom d’une laïcité instrumentalisée, s’emploient à semer la confusion pour voir l’islamisme radical à tous les coins de rue.