Retrouver le (bon) sens de l’histoire
Au Parti de gauche, à Nouvelle Donne et même à la gauche du Parti socialiste,
on a des idées pour faire repartir l’emploi. Mais on peine à se faire entendre.
dans l’hebdo N° 1289 Acheter ce numéro
Emplois aidés, aides aux entreprises, course à la compétitivité… Vieille comme le libéralisme, la recette de François Hollande pour lutter contre le chômage ne cesse de démontrer son inefficacité. « Il n’y a ni inversion ni même stabilisation de la courbe, constate Isabelle Attard, députée du Calvados et militante à Nouvelle Donne. Avec Hollande, on est dans la méthode Coué. Or, il faut regarder la réalité en face : la croissance baisse depuis trente ans et elle ne repartira pas. » D’où la nécessité de changer de logiciel. Cela tombe bien car, à gauche, les idées ne manquent pas. Mieux : que l’on soit à Nouvelle Donne, au Parti de gauche ou même au PS, elles vont grosso modo dans le même sens : réduction du temps de travail, sécurisation de l’emploi, soutien aux petites entreprises, transition énergétique… Des propositions qui n’ont rien de révolutionnaire ni même de très nouveau. Mais, dans un contexte où l’exécutif s’est converti à la doctrine libérale, elles sont devenues quasi inaudibles en France. Alors même qu’en Allemagne une ministre réfléchit à faire passer les jeunes parents à la semaine de 32 heures… Isabelle Attard en est donc persuadée, l’alternative n’a rien d’utopique : « Si on avait appliqué la méthode canadienne, c’est-à-dire réduit le temps de travail en période de crise en laissant l’État compenser pour atteindre 95 % du salaire, on aurait sauvé un million d’emplois sur cinq ans. » Elle appelle à un « small business act » européen et à une réorganisation bancaire pour favoriser l’investissement dans l’économie réelle. Une proposition qui n’est pas sans rappeler l’engagement n° 7 d’un candidat à la présidentielle nommé François Hollande.
Si les 32 heures hebdomadaires vont dans le sens de l’histoire, en France, elles sont surtout de l’histoire… ancienne. À Télérama, qui passait aux 32 heures quand la France adoptait les 35 heures, les semaines de quatre jours ont vite été oubliées. Coincé entre la crise de la presse et son rachat par le groupe Le Monde en 2003, l’hebdo, qui avait pourtant joué le jeu en embauchant 30 salariés, est depuis longtemps retourné aux 35 heures.
Même scénario chez Mamie Nova, où même la DRH ne se souvient plus que la semaine de quatre jours a un jour existé dans son entreprise. Ce qui n’empêche pas la maison-mère, Andros, de laisser courir le bruit que les 32 heures y sont toujours d’actualité… Histoire de ne pas se priver des coups de pub offerts (involontairement) par Pierre Larrouturou, qui continue de citer Mamie Nova en exemple !
À la Macif où, contexte économique oblige, la semaine de 31,30 heures est elle aussi sur la sellette, on tire un bilan mitigé de quinze années de RTT. « La Macif a profité des subventions des lois Aubry pour embaucher, mais pas là où elle réduisait le temps de travail, du coup, les conditions de travail se sont fortement dégradées », raconte une syndicaliste de la CGT, qui rappelle que réduire le temps de travail, c’est bien, surtout quand « on ne nage pas dans un océan de capitalisme ».
Ou quand la volonté politique est là pour tirer tout le monde vers le haut !
Le partage du temps de travail ? « C’est le sens de l’histoire », confie un économiste du PS. Reste que, depuis le semi-fiasco des 35 heures, le sujet est devenu tabou rue de Solférino. « C’est d’autant plus insensé que la promotion du temps libre est, historiquement, un acquis de la gauche, et que de nombreux intellectuels proches de nous le revendiquent », remarque Barbara Romagnan. À défaut d’être entendue de son propre camp, la jeune députée socialiste du Doubs donne de la voix dans les médias ou dans sa circonscription pour ouvrir le débat sur le temps de travail ou le calcul du PIB. « Il faut arrêter de croire que le salut passe par l’augmentation perpétuelle d’une croissance qui entre en contradiction avec le bien-être ou l’écologie. » Puisse-t-elle être entendue… L’été dernier, alors que l’atonie de la croissance semait la panique à Matignon, les conseillers de Jean-Marc Ayrault ont auditionné Pierre Larrouturou. Puis la croissance a frémi et les belles idées du chantre des 32 heures et de la décroissance ont été remisées au placard. « François Hollande est un libéral depuis toujours, il défend les intérêts de la petite oligarchie de financiers qui l’entoure », accuse Guillaume Etievant, tête de liste du Parti de gauche aux municipales dans le Xe à Paris. « Il est réducteur de croire que le gouvernement serait dans les mains du Medef », tempère Barbara Romagnan, qui peine toutefois à expliquer l’inertie de la politique actuelle autrement que par des « freins culturels ». « D’une part, le gouvernement a peur de tenter de nouvelles méthodes, d’autre part, il est très influencé par les lobbies et le Medef, avance Isabelle Attard. Je suis de plus en plus persuadée que seule la mise en place du mandat unique pourra libérer les politiques de leur obsession d’être réélus, et les pousser à faire preuve de courage politique. » Si l’on sait que de graves crises économiques conduisent à de graves crises démocratiques, rappelons-nous que l’inverse peut aussi être vrai.