Une histoire des manifs de droite
Danielle Tartakowsky étudie les agitations conservatrices de la fin du XIXe aux mouvements récents.
dans l’hebdo N° 1289 Acheter ce numéro
Ce numéro de Politis paraît le 6 février 2014. Un anniversaire dont on se passerait bien, celui des 80 ans du 6 février 1934, lorsque les anciens combattants les plus droitiers et surtout les ligues Croix-de-Feu, Action française et Jeunesses patriotiques attaquèrent le Palais-Bourbon, alors Chambre des députés, tentant un coup de force contre la République. Défendue par les gardes mobiles, dont les jarrets des chevaux sont tailladés au rasoir par les insurgés, la IIIe République tient finalement bon, la gauche répondant par un défilé bien plus massif, le 12 février.
Huit décennies plus tard, sans danger comparable pour la démocratie, diverses sensibilités de la droite la plus réactionnaire battent le pavé. Commencée contre le projet de loi instituant le mariage pour tous, cette mobilisation se poursuit aujourd’hui contre l’avortement et, la semaine dernière, contre le président de la République. Cette dernière manifestation, à laquelle participaient diverses organisations d’extrême droite, avec les propos racistes et antisémites que l’on sait, a vu des heurts violents lors de sa dispersion. Une violence qui rappelle certaines agitations des années 1930, de la part de mouvements de la droite dure qui considèrent systématiquement la gauche au pouvoir comme illégitime et représentant « l’anti-France ». Spécialiste des mouvements sociaux, auteure de plusieurs livres sur le 1er Mai et ce mode d’action particulier que constitue la manifestation, l’historienne Danielle Tartakoswky s’est intéressée au rapport « ambivalent » entre les droites et la rue. Depuis les années 1880 (où légitimistes et bonapartistes contestaient la République) jusqu’à la « Manif pour tous » en passant par l’agitation boulangiste, l’affaire Dreyfus, « l’apogée » que constituèrent les années 1930 pour les droites en cortège, puis la guerre d’Algérie, le 30 mai 1968 ou le mouvement de défense de l’école libre en 1984. Non sans souligner combien « il est significatif que ce mode d’action n’ait pas retenu l’attention » des principaux travaux des historiens des droites, de René Rémond à Jean-François Sirinelli, mais aussi les siens. En effet, « l’idée fausse selon laquelle la manifestation de rue, quelque nom qu’on lui donne, serait en France consubstantiellement ouvrière et de gauche a la vie dure ».
On note surtout, à la lecture (agréable) de cet essai, combien la participation des catholiques a presque toujours été importante dans les mouvements de droite sortant dans l’espace public. L’historienne parvient ainsi – avec brio – à définir certains des grands invariants d’une « manif de droite ».