Vinci peint sa vitrine en rose
Pour faire oublier les conditions de travail sur ses chantiers, le groupe communique sur ses actions d’« insertion ».
dans l’hebdo N° 1291 Acheter ce numéro
Croissance verte, engagement citoyen, aide à l’insertion… À en croire son site Internet coloré, Vinci serait une entreprise modèle. La réalité est moins rose. Si la communication du groupe en matière d’écologie et ses procédés de « compensation environnementale » ont été dénoncés à de nombreuses reprises comme du pur écoblanchiment, les prétentions sociales du groupe sont tout autant sujettes à critiques.
Un projet de construction de Vinci repose sur une délégation des responsabilités : sous l’égide d’un pôle du groupe, le projet est géré par une filiale, qui, si elle reste en charge de la maîtrise d’ouvrage, délègue les travaux de chantier à de multiples sous-traitants. Une sous-traitance en cascade qui a surtout pour effet la dilution des responsabilités : de régulières entorses au droit du travail, et Vinci n’est jamais coupable. « Cette organisation permet d’externaliser les obligations juridiques, explique Nicolas Jounin, enseignant-chercheur à l’université Paris-VIII. Sur un même chantier, on peut dénombrer une dizaine d’employeurs pour une soixantaine de salariés, la plupart intérimaires. Ainsi, Vinci ne s’occupe pas des contrats de travail, juste d’accords avec des sous-traitants. » De petites entreprises et des boîtes d’intérim mises sous pression pour minimiser les coûts et tenir les délais, avec au bout du compte, des pratiques bien souvent à la frontière de la légalité. Embauche de sans-papiers, signature des contrats une fois le travail terminé – l’ouvrier se retrouve donc licenciable à tout moment –, hyperflexibilité… Autre effet de cette sous-traitance en chaîne, la disparition des solidarités. « La multiplication des employeurs et la diversité des conditions de travail cassent toute solidarité syndicale, explique René de Froment, syndicaliste CGT à Vinci. Comment porter des revendications dans ces conditions ? » D’autant que, pour réduire les coûts, les entreprises en charge des projets sous-traitent souvent à des sociétés étrangères, lesquelles embauchent leurs salariés sous des contrats étrangers, plus rentables pour l’entreprise, mais aussi beaucoup plus précaires pour les salariés. En janvier dernier, la présence de sous-traitants portugais sur un chantier de Vinci pour le promoteur immobilier Nexity avait provoqué l’ire des habitants de la cité voisine. Confrontés à un fort taux de chômage, ils reprochaient au groupe de ne pas embaucher localement. Une situation à mille lieues des velléités d’insertion sur papier glacé qu’affiche l’entreprise via sa fondation Vinci pour la cité (créée en 2002) ou la participation de ses dirigeants aux groupements d’employeurs pour l’insertion.
C’est que l’insertion est devenue, ces dernières années, une exigence à part entière de l’attribution des marchés publics. Vinci l’a compris et a créé, en 2011, la structure Vers l’insertion et l’emploi (VIE), qui a pour objet de permettre « aux publics éloignés de l’emploi de suivre un parcours d’insertion », mais surtout d’aider les entreprises à ajouter à leurs projets un « volet sociétal », « susceptible de constituer un avantage concurrentiel » dans le cadre de l’obtention de marchés, explique le site de Vinci Construction. « Cet étalage de coups de main à des publics en difficulté fait passer pour vertueux ce qui est juste prévu par la loi », explique Nicolas de la Casinière, dans les Prédateurs du béton [^2]. Pour René de Froment, c’est avant tout une « vitrine sociale » derrière laquelle les pratiques restent celles d’une multinationale.
[^2]: Les Prédateurs du béton. Enquête sur la multinationale Vinci , de Nicolas de la Casinière, Éd. Libertalia, 2013.